Anaiz Aguirre Olhagaray

Pour qu’ils “continuent d’être acteurs de leur vie”

Tous les 15 jours, un petit groupe de résidents de l’Ehpad Bon Air de Cambo-les-Bains se rend au centre équestre Urkodea, à Hasparren. La proximité avec les poneys augmente leur attention et la régularité des visites ravive leur mémoire. Un acte de “militantisme” selon Carine Iribarren, directrice de l’Ehpad.

Chaque résident s'occupe de son propre poney, créant ainsi un lien avec celui-ci. © Bob EDME
Chaque résident s'occupe de son propre poney, créant ainsi un lien avec celui-ci. © Bob EDME

Voilà quatre semaines que Marinette, Marie-Thérèse, Monique, André, Geneviève et Josephine ont rendu visite aux poneys du centre équestre Urkodea, à Hasparren. D’habitude, l’activité est suspendue pendant l’été mais ce 14 août, elle a été généreusement renouvelée pour MEDIABASK. De quoi réjouir les résidents de l’Ehpad Bon Air de Cambo, ravis de pouvoir câliner une nouvelle fois leurs animaux de compagnie. Au contact des poneys, les personnes âgées renforcent leur attention, leur motricité et leur mémoire.

À l’arrivée du groupe à 10 heures, il y a d’abord le "rituel du café" qui a toute son importance. "C’est le démarrage de tout" déclare Francine, animatrice à l’établissement Bon Air. Autour de la table, les personnes discutent ce qu’elles ont fait la dernière fois. Aujourd’hui, "Jo" évoque des souvenirs : "J’ai passé toute ma vie avec les chevaux", raconte avec un délicieux accent british celle qui fut jockey au Kenya avant d’aller vivre en Angleterre et en Espagne. "Mon père avait ‘dos mulos’ [deux mules, ndlr], Jack et Josephine. Mes parents m’ont baptisée comme la mule. Et j’ai une tête de mule !" plaisante-t-elle, déclenchant un rire dans l’assemblée.

Hormis l’été, les visites ont lieu tous les 15 jours. Une régularité nécessaire au "travail de mémoire", précise Francine. "Ils se repèrent dans la ferme, ils reconnaissent les poneys." Carine constate que "l’attention augmente, les événements reviennent en mémoire au fil des séances." Dans les chambres des résidents, des photos et un agenda des dates permettent de "faire vivre le projet au quotidien". Dans cet établissement de Cambo, "l’animal a une grande place". L’Ehpad a adopté un chat et fait intervenir une zoothérapeute.

Histoires de vies

C’est le moment d’aller voir les chevaux. Aujourd’hui, Francine est admirative d’André, atteint de la maladie de Parkinson. "André a établi un lien de confiance. Il se rend compte qu’il peut quitter son déambulateur et tourner autour du cheval en s’appuyant dessus. Cela maintient sa motricité" se réjouit l’animatrice. Quant à "Jo" la professionnelle des chevaux, "c’est son domaine. Elle nous a appris plein de choses."

"On s’inspire de la méthodologie de l’humanitude", explique Carine. Les activités proposées par l’Ehpad Bon Air sont "individualisées" et "basées sur l’histoire de vie", précise la directrice. "Même s’ils ont une pathologie aujourd’hui, il ne faut pas oublier qui ils ont été". L’Ehpad propose également des visites dans des musées ou encore, des "séjours vacances" de plusieurs jours, en Soule. "Extra muros, les capacités des résidents sont autres" révèle Carine. "L’objectif, c’est qu’ils continuent d’être acteurs de leur vie".

Auprès des chevaux, les résidents exercent leur motricité. © Bob EDME

Problème sociétal

La directrice recherche avant tout "l’ouverture" vers d’autres professionnels, une façon aussi de "mixer les regards sur la vieillesse". Pour elle, son travail relève du "militantisme, pour faire valoir les droits des personnes âgées et leur dignité". Elle-même étant cavalière, l’amitié avec Ludovic existait déjà. "C’est un défi", admet le directeur d’Urkodea. "Mais c’est ni insurmontable ni inintéressant, dans cette société où on met les vieux de côté...". Une forme d’engagement qui demande de "faire tomber les barrières" et de "prendre des risques" reconnaît Carine.

Seule ombre au tableau : le manque de moyens. L’Ehpad associative, financée par le Conseil départemental et l’agence régionale de santé, a vu son budget amputé de 25 000 euros ces trois dernières années. "Le travail de prévention n’est pas valorisé. Ce qui est valorisé, c’est la dépendance" regrette la directrice. Autrement dit, plus un résident perd de son autonomie, plus les Ehpad reçoivent de subventions. Or à Bon Air, les équipes mettent l’accent sur la "verticalité", c’est-à-dire le maintien des personnes debout. "Notre boulot, c’est celui-là. Cela pose un problème éthique, philosophique", s’inquiète Carine Iribarren. "La perte de sens est très facile. C’est un vrai problème sociétal."