Kattin CHILIBOLOST

“Les peuples autochtones avertissent toujours le monde et ne veulent plus se battre seul”

Alexis Tiouka* est juriste expert dans les droits des peuples autochtones de Guyane. Il est intervenu lors de la table ronde organisée à Saint-Etienne-de-Baïgorry dans le cadre du festival Les Peuples en Luttes.

Alexis Tiouka, militant pour les droits des peuples autochtones de Guyane était en visite au Pays Basque.
Alexis Tiouka, militant pour les droits des peuples autochtones de Guyane était en visite au Pays Basque. (© Pierre-Michel Forget)

Vous étiez invité à participer à la table ronde sur l'exploitation des ressources naturelles, une problématique qui se mêle à celle de la reconnaissance des droits des peuples autochtones en Guyane... Comment avez-vous border la question ?

J'ai pris le cas de la Montagne d'or et des multinationales qui veulent y extraire de l'or à ciel ouvert. Leurs activités sur les territoires autochtones en Guyane ont un impact sur beaucoup d'éléments, comme les droits sociaux, le droit à la santé, et n'apportent rien de positif à l'engagement de la France dans la Cop 21. J'ai détaillé la situation que les peuples autochtones vivent au quotidien.

Vous avez été représentant à l'ONU où vous avez travaillé pour les droits des peuples autochtones. Quels sont les textes, au niveau du droit international, qui les protègent ?

Dans le contexte du droit international, la France a adhéré à la convention sur la biodiversité en 2009. Elle a aussi adhéré à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones en septembre 2016. Mais il faut maintenant les appliquer dans le contexte national. Il y a pour cela plusieurs possibilités, dont celle de la révision constitutionnelle. C'est à ce moment là que l'on pourrait, dans l’État Français, introduire la question des droits autochtones. A ce propos, le Conseil consultatif de l'ONU a déjà dit à la France que la reconnaissance des droits des peuples autochtones ne remet pas en cause la Constitution française.

D'autres éléments du droit international ne sont pas mis en application, comme par exemple la déclaration de l'Unesco qui reconnaît le patrimoine des peuples autochtones. Sur la Montagne d'or, on trouve des sites qui servaient de lieu de cérémonie et de refuge face aux attaques extérieures. Ce patrimoine matériel et immatériel, aujourd'hui, est menacé. Pourtant, des instruments juridiques existent. Il suffirait de les mettre en application.

Vous êtes confronté aux limites du "droit national"...

Et à sa constitution qui déclare qu' il n'y a pas d'autre peuple que le français. Pourtant, le droit international est clair. Il déclare que les peuples autochtones existent et que les Etats nations doivent les respecter et les reconnaître. Au niveau régional, nous sommes confrontés à des élus qui refusent de reconnaître l'existence de ce territoire et de ces peuples.  

Vous vous mobilisez également autour des cas de suicides chez les Wayana, une communauté qui vit dans le sud de Guyane. Comment expliquez-vous ce drame ?

Les suicides sont surement dus à beaucoup de choses. D'abord à l'orpaillage légal et illégal. Ces pratiques amènent beaucoup de violence. Avec l'utilisation du mercure, elles exterminent l'environnement et mettent en danger la nourriture des peuples Wayana, qui vivent de la pêche et de la chasse. Les apports externes de la société les bousculent dans leur quotidien, et brisent leurs droits culturels. Il est aussi question de sectes américaines qui s'installent. Il faut savoir que lorsque l'orpaillage s'installe, il y a toujours une église qui s'implante. 

En plus de cela, l'arrivée de l'école a provoqué un problème d'identité. Je constate qu'il n'y a pas assez de fierté du peuple Wayana pour dire “nous sommes des Wayana”. Au lieu de réagir et défendre leur territoire, ils subissent les apports néfastes venus de l'extérieur. Et l’État Nation français fait la sourde oreille.

Face à cette réalité, vous évoquez le besoin de développer l'ethnopsychiatrie, et de réaffirmer leur identité.

On en parle beaucoup en ce moment autour des cas des suicides. Ce qui est étonnant, c'est que les hommes politiques n'en parlent pas du tout. L'Agence régionale de la santé (ARS) propose certaines choses... mais ce n'est pas en envoyant un psychologue de temps en temps que tout va se régler. Il faut donner les moyens aux Palikur, aux Teko, aux Wayãpi, aux Wayana, et à tous les peuples de dire ce qu'ils veulent exactement. C'est ce qui s'est fait au Canada avec les communautés autochtones. Il est temps que les Wayana prennent leur responsabilités et trouvent un moyen de sortir de l'impasse.

Une question de responsabilité qui concerne sûrement d'autres peuples que les Wayana...

Le combat autochtone est un combat qui concerne tous les peuples. C’est un combat pour l’humanité. En Amazonie, les peuples autochtones sont les premiers avertis des dérèglements climatiques. Il faut savoir les écouter, lorsqu’ils se déplacent, lorsqu’ils participent dans des conférences internationales. Les peuples autochtones avertissent toujours le monde et ils ne veulent plus se battre seuls. Ils veulent se battre avec d’autres peuples, pour les mêmes choses, et contre les mêmes multinationales qui viennent piller toutes les richesses et les savoirs intellectuels.

 

* Il est décédé en décembre 2023.