Béatrice MOLLE-HARAN

Luis Emaldi Azkue : “L’enjeu des résultats de ces élections forales et municipales sera les alliances”

Luis Emaldi Azkue est sociologue, doctorant en Science Politique au Centre Emile Durkheim à Bordeaux. “Ethno-regionalismes et systèmes partisans en Europe (2008-2017) : les transformations des systèmes de partis dans les régions de conflits centre-périphérie pendant la crise. Les cas du Pays Basque, l’Écosse et l’Italie du nord” est le sujet de sa thèse réalisée sous la direction de Xabier Itçaina. Il nous livre ses réflexions concernant les prochaines élections municipales et forales qui se dérouleront le 26 mai au sein de la Communauté autonome basque (CAB) et en Navarre.

Luis Emadi Azkue. © Téo CAZENAVES
Luis Emadi Azkue. © Téo CAZENAVES

Après la victoire du PSOE (Parti socialiste espagnol) au sein de l’Etat espagnol lors des dernières élections législatives du 28 avril et une forte poussée de ce parti en Pays Basque Sud, pensez-vous que cette tendance va se poursuivre lors des prochaines élections municipales et forales ?

Luis Emaldi Azkue : En 2016, lors des élections législatives, le vote avait été marqué par une tendance au vote dit utile. A l’époque, beaucoup d’électeurs d’EH Bildu (coalition de gauche formée par Sortu, EA, Aralar, Alternatiba et des indépendants) et du PNB (Parti nationaliste basque) avaient voté Podemos. Cette fois-ci, beaucoup sont retournés dans leurs chapelles. Concrètement concernant les prochaines élections municipales et forales, je pense que c’est une erreur de considérer que les résultats de ces dernières élections législatives ou générales vont se reporter sur les élections locales. Mais de toute façon, l’enjeu des résultats de ces élections forales et municipales seront les alliances qui seront scellées post-électoralement.

Précisément, quelles pourraient être ces alliances à l’issue de ces élections ?

Je n’ai pas de boule de cristal quant aux résultats, mais il semble assez plausible que l’alliance PNB-PSOE fonctionnera à l’instar de ce qui se passe au gouvernement basque. D’autres cas de figures selon les résultats peuvent perdurer comme à Errenteria avec un bloc EH Bildu-Podemos. Cela dépend aussi dans d’autres villes des positionnements de Podemos et d’EH Bildu. Ces derniers sont-ils plutôt prêts à chercher à faire un pôle souverainiste avec le PNB ? Et quelle sera dans ce cas, la réponse du PNB ?

Peut-il y avoir dans certains cas un pôle Podemos-PNB ?

C’est peu probable de voir cela. Le PNB souhaitera comme il l’a toujours fait conserver son bloc hégémonique avec l’aide du PSOE.

Précisément, comment analysez vous cette hégémonie persistante du PNB après pratiquement 40 années d’exercice du pouvoir ?

Le PNB représente le parti du pouvoir économique. Ils maintiennent un système qui marche pour certains. Si l’on compare au reste de l’Etat espagnol, c’est une économie plus dynamique. Certes le chômage a baissé en Pays Basque, mais il y a aussi beaucoup de défaillances, les contrats de travail créés sont très précaires. D’ailleurs beaucoup de jeunes partent travailler ailleurs. Qui ne connaît pas en Pays Basque Sud une famille où un ou plusieurs jeunes sont partis et travaillent ailleurs, car il n’y a pas d’opportunité au Pays Basque ? Par ailleurs, la majorité des emplois créés le sont dans le tourisme et dans l’hôtellerie. Il y a aussi le fait qu’étant au pouvoir depuis 40 ans, une sorte de clientélisme inhérent au fait de tant d’années au pouvoir existe forcément.

La roue peut-elle tourner après tant d’années ?

Oui, je pense que les choses peuvent bouger dans quelques années. Car les électorats du PNB ainsi que ceux du PSOE et du PP sont des électorats vieillissants.

Certains estiment que le PNB a su instaurer des mesures sociales progressistes et que cela pourrait être la clé de son succès…

Certes, il y a l’idée que ce parti a été proche des démocrates chrétiens, ce qui les différencie d’une droite dure. Ce fut la première communauté qui instaura le RSI (RSA) mais il n’en demeure pas moins que les problèmes de précarité demeurent. Mais plus concrètement, on voit encore des usines qui risquent de fermer, Arcelor-Mittal à Olaberria ou La Naval à Sestao, qui constituent souvent une part importante du tissu économique du territoire. Au Gipuzkoa, il y a également le conflit dans les maisons de retraites depuis très longtemps maintenant, où le rôle de la Diputación est important, mais aussi des problématiques de transport public, de gestion des eaux et de l’électricité, où les villes pourraient faire bien plus.

Enfin, il y a aussi la question des personnes migrantes qui se font refouler à la frontière, où la réaction des institutions a été plutôt lente, puis insuffisante, ce qui contraste avec la réactivité positive des réseaux citoyens et des associations de la société civile, mais qui n’ont pas les ressources, ni la compétence à proprement parler, pour s’occuper d’une affaire de la sorte. Et ne parlons pas du logement, enjeu majeur de ces élections municipales. Il est impossible aujourd’hui pour des jeunes ou des familles de la classe moyenne de vivre à Donostia et dans d’autres endroits. Comment gérer le tourisme de masse ? Désormais à part des groupes hôteliers, des appartements loués par AirBnB appartiennent à des fonds financiers privés. La nouvelle loi mise en place pour éviter les abus va-t-elle vraiment être appliquée ? Nous verrons.

Si changement il devait y avoir, d’où viendra-t-il ?

Si l’on regarde la composition des électorats, ce sont ceux d’EH Bildu et de Podemos qui sont les plus proches. Car marqués très à gauche et favorables à plus de décentralisation du pouvoir avec certes des nuances, pour certains l’indépendance, mais se sentant tous très euskaldun. Il est à noter que concernant Podemos, aux dernières élections, malgré une baisse importante, ils sauvent les meubles et se consolident comme une force propre avec de meilleurs résultats dans les bassins et villes désindustrialisés à tradition socialiste. Pour EH Bildu, il est intéressant d’observer que sa campagne a vraiment été axée sur la volonté d’un changement en faveur d’un autre type d’économie. Il s’agit de gérer au-delà du droit à l’autodétermination. Depuis 2011, fin définitive de la lutte armée, confirmée par la dissolution d’ETA il y a un an, le programme de la gauche abertzale est différent, plus axé sur le social et le changement de type d’économie.

Comment percevez-vous les enjeux en Navarre ?

Tout l’enjeu est de savoir si la formule du quadripartite va pouvoir être renouvelée tant au gouvernement de Navarre qu’à Iruñea. Dans cette ville, la nouvelle équipe et le maire d’EH Bildu ont été confrontés aux limites de la politique institutionnelle (Gaztetxe de Maravilla). Concernant le gouvernement de Navarre, le PSN pourrait avoir la clé des alliances. Vont-ils soutenir UPN (droite navarraise) alors qu’il y a Ciudadanos et Vox ? Le PSN sera au milieu et devra choisir.