Jean-Yves VIOLLIER

Le débat de cons

Jean-Yves Viollier. © DR
Jean-Yves Viollier. © DR

A un moment ou l’autre de notre existence, nous avons tous reçu une inopinée invitation à dîner de quelqu’un que nous connaissons peu, soudain pris de passion pour nous. Après une longue hésitation, mon épouse et moi acceptons finalement la proposition de notre improbable ami. Appelons-le Jupiter.

Dès notre arrivée dans la belle demeure où sont censées se dérouler les agapes, nous sommes pris dans un tourbillon de mots : “Cher François Pignon, chère Madame Pignon, quel bonheur de vous recevoir. Depuis le temps que j’attendais ce moment”. Les autres convives présents ne nous sont pas présentés. La salle à manger est magnifiquement dressée. Première surprise, nous apercevons derrière la baie vitrée qui donne sur le jardin quelques personnes en gilets jaunes qui suivent le dîner. Heureusement, Jupiter nous met à l’aise : “J’ai toujours eu la fibre sociale et quand je reçois, j’autorise parfois quelques gueux à assister au spectacle”. Il adresse même des gestes de la main pleins d’empathie à ces spectateurs qui brandissent des pancartes “Jupiter, démission !” et sourit : “Ils sont taquins, mais je sais qu’ils m’aiment bien !”, avant de rassurer une des convives qui semble un peu inquiète : “Ne vous inquiétez pas, en cas de problème, mon majordome dispose de quelques grenades de désencerclement et de fusils lance-grenades pour rétablir l’ordre”.

Le savant ordonnancement des mets et des vins débute, tandis que notre hôte discourt interminablement, n’autorisant que quelques hochements de tête ou de brefs “oui” ou “non” à ses interlocuteurs. A deux heures du matin, alors que les convives lorgnent désespérément vers la sortie, notre hôte impose avant de partir le selfie avec lui pour “garder un souvenir de cette merveilleuse soirée”.

Et le lendemain, alors que nous sommes KO debout après cette éprouvante soirée, Jupiter se sent obligé de nous adresser un mail, modestement intitulé “Lettre à tous les Français” où il se “félicite, lui l’homme de dialogue, de la qualité des échanges de la veille”.

Ce “dîner de cons” que nous avons tous vécu à un moment ou l’autre ne vous rappelle rien ? Interminables monologues présidentiels relayés par une télé mise sous séquestre, sujets qui fâchent comme le retour de l’ISF, la hausse du salaire minimal ou la moralisation de la vie publique soigneusement écartés, invitation à s’exprimer dans des cahiers de doléance en partant de l’idée que ça fera du bien au bon peuple de se défouler, illusoire constitution d’une liste gilets jaunes aux élections européennes, histoire de mieux diviser le mouvement, la liste des actuels enfumages présidentiels de notre Jupiter national est longue.

Avec une seule certitude : le grand bla-bla national ne sert strictement à rien et tourne au débat de cons. L’histoire des revendications sociales démontre une chose avec certitude : que ce soit en 1789, en 1936, en 1968 ou en 1981, les victoires se remportent dans la rue et nulle part ailleurs.