Christophe Desprez

Notre liberté d’expression toujours plus menacée

Les députés débattront de la proposition de loi “anti-casseurs” à partir du 21 janvier en commission. © Isabelle MIQUELESTORENA
Les députés débattront de la proposition de loi “anti-casseurs” à partir du 21 janvier en commission. © Isabelle MIQUELESTORENA

Si le mouvement des “gilets jaunes” a occasionné des débordements et l’expression de violences physiques et verbales condamnables, il alerte sur notre fonctionnement démocratique, la justice sociale et la représentation politique dans notre pays.

Or, en panne de solution face à cette crise sociale, le gouvernement vient d’annoncer sa loi “anti-casseurs”.

Lors de son intervention télévisée du 7 janvier dernier, Edouard Philippe a en effet déclaré vouloir faire adopter la proposition de loi du sénateur Bruno Retailleau (LR) déposée suite aux affrontements en marge des manifestations de mai 2018.

Il envisage, ainsi, une nouvelle loi permettant des sanctions contre ceux qui ne respectent pas l’obligation de déclaration préalable de manifester, de créer un délit pour ceux portant une cagoule lors d’une manifestation, d’engager la responsabilité civile des casseurs pour tous les dommages causés et de mettre en place un fichier des personnes interdites de manifester.

Ces mesures apparaissent surtout comme un “effet d’annonce” alors qu’aujourd’hui, on dispose de tous les moyens d’arrêter les “casseurs”. Le nombre inédit de gardes à vue, depuis le début du mouvement des “gilets jaunes”, en est l’illustration.

De plus, les notions de bandes organisées, de faits commis en réunions et de responsabilité collective civile et pénale existent déjà en droit français.

La création d’un fichier recensant les personnes interdites de manifester s’inspire, quant à elle, du fichier créé pour interdire de stade les supporters repérés comme hooligans. Mais la liberté de manifester sur la voie publique est un droit d’expression collective des idées et opinions qui dépasse le droit d’accéder à un stade.

Les mesures annoncées apparaissent ainsi, attentatoires, de manière disproportionnée, à nos libertés.

Au-delà de la sanction des organisateurs d’une manifestation non déclarée, envisager de créer un délit visant ses simples participants est à cet égard significatif.

Il est par ailleurs dangereux de se placer au niveau de l’intention et non au niveau de la commission d’un délit comme le prévoit le texte adopté au Sénat interdisant de manifestation “toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public” ou même toute personne “en relation de manière régulière avec des individus incitant, facilitant ou participant à la commission” d’infractions à l’occasion de manifestations.

Aussi bien, sur le fondement du maintien de l’ordre public, ces mesures vont permettre de suspendre notre droit de manifester nos opinions, à l’image de ce qui a été fait au nom de l’état d’urgence.

Avec cette loi, les préfets vont pouvoir décider qui peut ou pas manifester et de faire d’un manifestant un “casseur”. Cela s’inscrit à nouveau dans le sens d’un renforcement du pouvoir administratif au détriment du pouvoir judiciaire.

Or, au même moment, est en train d’être votée, une autre loi pour la justice dégradant les conditions dans laquelle elle est rendue et qui aura, elle-même, pour effet de porter encore atteinte aux libertés individuelles.

Ici, au Pays Basque, on peut légitimement craindre pour notre liberté de manifester et les conditions dans lesquelles pourront s’exprimer, dans des rassemblements autorisés ou non, toutes les opinions lors du prochain G7 à Biarritz.

La préparation de cet événement international, avec la venue du ministre des Affaires étrangères, a ainsi déjà, à elle seule, suscité dans la ville de fortes tensions et une nouvelle victime de tirs de Flash-Ball.

Cette nouvelle loi “anti-casseurs” en réponse au mouvement inédit des “gilets jaunes” apparaît une nouvelle fois comme une loi de circonstances.

Nombreux sont les gouvernements qui en réponse aux pressions sociales et sociétales n’ont eu d’autres réflexes que de “dégainer” une nouvelle loi répressive.

Mais, alors que sont nécessaires des réponses sociales et politiques de nature à apaiser les tensions, le choix de l’autoritarisme est dangereux pour notre démocratie et nos libertés.