Xan Idiart

ELB défend bec et palmes ses canards

Cathy Chabalgoity, éleveuse basée à Barcus, et Panpi Sainte-Marie, secrétaire général du syndicat agricole ELB, étaient convoqués au tribunal correctionnel de Pau ce 5 novembre pour "entrave à l'abattage de volailles" en avril 2017. Pendant cinq heures, le procès a vu s'opposer deux visions du monde exploitant. D'un côté, ELB qui défend un modèle paysan, et de l'autre, une procureure pour qui il ne fait pas de doute, les deux prévenus sont des vilains petits canards.

Cathy Chabalgoity et Panpi Sainte-Marie à leur entrée au tribunal.
Cathy Chabalgoity et Panpi Sainte-Marie à leur entrée au tribunal.

Le regard dans le vide, les yeux rouges et des cernes profondes, la fatigue se lit sur le visage de Cathy Chabalgoity. Il y a quelques temps encore, cette éleveuse de volaille à Barcus ne se serait certainement pas imaginée au cœur d'un procès à si grand retentissement médiatique. Pourtant, elle se trouve ce lundi 5 novembre sur le banc des prévenus du tribunal correctionnel de Pau. A ses côtés, le secrétaire général du syndicat agricole ELB Panpi Sainte-Marie. Tous les deux sont jugés "pour entrave à l'abattage des canards" de la ferme Uhartia.

Petit rappel. Au printemps 2017, la grippe aviaire sévit dans le sud-ouest de l'Hexagone. Des centaines d'abattages préventifs pour éviter que le virus ne se propage sont ordonnés dans tout le département des Pyrénées-Atlantiques. Au Pays Basque, trois exploitations ne verront pas les services sanitaires mener à bien leur mission.

Parmi ces exploitations, la ferme de Cathy Chabalgoity donc, où le 14 avril, la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) et son directeur Alain Mesplède se rendent pour procéder à l'euthanasie des animaux. Problème : des centaines de syndicalistes, élus et simples citoyens se trouvent à l'extérieur et font pression sur le gus. Il ne donnera pas l'ordre aux services sanitaires de tuer les bêtes.

Mais l'homme ne s'avoue pas vaincu et prévient le 20 avril suivant, qu'il reviendra à la charge le lendemain matin pour transporter les canards dans un abattoir extérieur. Cette fois-ci, il ne pourra même pas accéder à la ferme. Les mêmes syndicalistes, élus et citoyens forment un barrage pour l'empêcher de poursuivre son chemin. Un semi-remorque entrave même la route.

Trois mois d'emprisonnement avec sursis

Qui est à l'origine de ce barrage qui a fait obstruction à un service de l’État ? Telle est la question que veulent éclaircir les juges. Pour la procureure de la République, il ne fait pas de doute : il s'agit de Cathy Chabalgoity. "Qui d'autre aurait pu prévenir tous ces gens en si peu de temps ?" s'exclame-t-elle, sûre d'elle. Une accusation qui passe mal. Surtout quand Panpi Sainte-Marie vient juste d'endosser la responsabilité collective du syndicat dans cette action. "On a été prévenus par un employé des abattoirs" certifie-t-il. Face à la résistence pacifique, les CRS ne sont pas intervenus ce jour-là. Pourtant, l'éleveuse avait rassemblé tous ses palmipèdes pour les laisser "aux soins" de la DDPP.

Peu importe. Les réquisitions tombent. 2000 euros d'amende pour l'éleveuse, plus une peine de trois mois d'emprisonnement avec sursis. 5000 euros d'amende pour son entreprise fermière, et 10 000 euros pour le syndicat agricole assorti d'une peine d'affichage dans des journaux locaux. Pas de doute, pour elle, les vilains petits canards sont sous ses yeux.

Sans surprise, les avocats de la défense demandent la relaxe de leurs clients. Au principe de précaution, Anne-Marie Mendiboure oppose l'état de nécessité reconnu par l'article 122-7 du Code pénal. Cathy Chabalgoity et Panpi Sainte-Marie ne devraient pas être condamnés car en empêchant l'abattage des canards, les dégâts ont été moins graves que ceux qui auraient pu se produire si les arrêtés préfectoraux avaient été respectés.

"Deux à trois agriculteurs se suicident chaque semaine en France" rappelle Anne-Marie Mendiboure. "En période de pandémie, les abattages systématiques poussent des exploitants à cesser définitivement leur activité". Une éventualité envisagée par la fermière de Barcus il y a un an et demi. Tuer les palmipèdes aurait fait fermer une exploitation alors que "les canards n'étaient pas séropositifs" martèle ELB. Des études vétérinaires l'ont démontré, et depuis, tous ont même été consommés.

"Malades, nous les aurions tués"

Car ce qui se joue dans ce tribunal pour le syndicat agricole et les 200 personnes venues en soutien, c'est bien l'avenir de l'agriculture paysanne, celle des circuits courts, de la production locale. Panpi Sainte-Marie arbore d'ailleurs un t-shirt noir où il est écrit "nos fermes ne sont pas des usines". "Ce sont les transporteurs qui devraient être jugés aujourd'hui" s'insurge-t-il. Les transporteurs de volailles, affiliés à l'agriculture industrielle. Celle de la FDSEA, celle des élevages en batteries, celle qui fait du gavage dans un endroit, et des abattages dans un autre. En transportant ainsi les canards, les camions véhiculeraient dangereusement le virus de la grippe aviaire.

A côté, Cathy Chabalgoity achète les siens un jour après leur naissance, les élève en plein air, fait sa propre litière et les abat elle-même. Avec ce modèle d'agriculture, le virus aurait beaucoup moins de risque de se propager sur une autre exploitation. Raison pour laquelle ELB était persuadé de la bonne santé des canards de la fermière à l'époque. "Nous sommes des gens sérieux" clame le secrétaire général du syndicat. "Si nous étions sûrs qu'ils étaient malades, nous les aurions tués."

Le "mépris" de la procureure

Cathy et Panpi ont aussi eu des soutiens de poids lors de ce procès. Michel Etchebest, maire de Mauléon et vice-président de la Communauté d'agglomération Pays Basque (CAPB) a été entendu comme témoin, tout comme Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne au niveau hexagonal, et Périco Légasse, journaliste spécialiste des questions agricoles et alimentaires. L'Etat voudrait faire de la ferme Uhartia un exemple pour les prochains mouvements de résistance selon lui. "Il savait qu'il commettrait une erreur en allant jusqu'au bout" assène-t-il d'une voix grave. "Sinon, il aurait pu envoyer les forces de l'ordre, même les parachutistes, qui sait !" A ce dernier, la procureure lui demande quels sont ses liens avec le Pays Basque. Une question qui décontenance le public tant elle paraît hors de propos.

Quelques minutes avant, la même procureure souhaitait savoir pourquoi Cathy Chabalgoity était victime d'ELB. L'ensemble du public est abasourdi. Tous savent que la fermière a quitté la FDSEA pour rejoindre le syndicat basque, le seul à défendre son modèle d'agriculture. Pas vraiment une victime à priori. Panpi Sainte-Marie n'a d'ailleurs pas manqué de souligner "le dédain et le mépris" de la procureure à la fin de la séance. Un avis partagé par ses soutiens.

La décision du tribunal est finalement programmée au 10 décembre, à deux semaines de Noël. "On lui apportera un foie gras de chez Cathy" rigole une femme exténuée par les cinq heures d'audience, en désignant la procureure qui vient juste de disparaître derrière une porte. "Ca lui fera plaisir".