Antton ETXEBERRI
Entrevue
Entretien avec Bruno JACQUIN
Journaliste et auteur

“À l’époque, la résonance de leurs attentats dépassait largement le Pays Basque“

Ancien journaliste de presse écrite, Bruno Jacquin a exercé au sein de plusieurs titres de la presse parisienne. Reconverti dans la communication jusqu’en 2010, il décide finalement de quitter ce domaine pour assouvir un vieux rêve, celui d’écrire un roman. Le premier paraîtra en 2013 et le second, publié en mai 2017, s’intitule Galeux.

Bruno Jacquin. © Philippe de Fierville
Bruno Jacquin. © Philippe de Fierville

Galeux, livre de 266 pages se lit d’une traite et raconte sous forme romanesque des événements vieux de 35 ans, qui sont gravés dans l’Histoire du conflit en Pays Basque, lorsque des milices financées par le gouvernement espagnol et dans lesquelles collaboraient des policiers français assassinaient en toute impunité au Pays Basque Nord. Un scandale d’État dont la plaie n’est pas complètement refermée aujourd’hui encore et qui n’a pas révélé tous ses secrets. Rencontre avec son auteur.

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire Galeux, vous qui êtes parisien ?

Le scandale des GAL a marqué ma mémoire à jamais. Ils sont apparus lorsque j’avais une vingtaine d’années, un âge où on se construit intellectuellement. À l’époque, la résonance de leurs attentats dépassait largement le Pays Basque. À l’heure d’écrire mon deuxième roman, le sujet s’est imposé à moi immédiatement.

Ce livre est inspiré de faits réels. Quelle est la part du réel et de la fiction dans ce livre ?

Je serais tenté de répondre que tout est réel. Bien sûr, pour servir mon histoire, j’ai parfois arrangé la forme, mais je n’ai en rien transformé le fond.

Est-ce que certains des personnages de votre livre ont réellement existé ?

Naturellement tous les personnages politiques de l’époque qui sont cités, qu’ils soient espagnols ou français, sont ceux que l’on connaît tous. Pour d’autres, comme j’ai parfois légèrement modifié la réalité, j’ai procédé par anagrammes avec les lettres de leurs noms, mais pour les plus au fait de cette période, il n’est pas très difficile de reconnaître de qui il s’agit. Quant à mes cinq ou six personnages principaux, ils n’existent que dans mon imagination, pourtant je pense que beaucoup peuvent se reconnaître en eux.

En quoi ont consisté vos recherches pour l’écriture de ce livre ? Avez-vous rencontré des policiers, des élus de l’époque ou des personnes victimes du GAL ?

En 2015, pour préparer ce livre, j’ai passé plusieurs semaines au Pays Basque Nord durant lesquelles j’ai rencontré des témoins ou leur descendance, de cette période, qu’ils soient sympathisants ou pas de la cause indépendantiste. Leurs témoignages m’ont été précieux, ils ont nourri, façonné mes personnages. En revanche, je n’ai rencontré ni élus, ni policiers… sauf a posteriori. Quelques-uns qui connaissent maintenant Galeux me donnent leur avis sous couvert d’anonymat et du bout des lèvres bien entendu. Et bien sûr, je me suis replongé dans la presse de l’époque.

Les GAL sont l’organisation armée qui a fait le plus de morts dans l’Etat français. Comment expliquez-vous que les policiers français qui ont collaboré à ces attentats n’aient jamais été inquiétés ?

Les GAL sont l’émanation des policiers et militaires espagnols, soutenus par leur gouvernement, au sein de laquelle plusieurs policiers français ont pris part de manière individuelle. Sur la période (milieu des années 1980), les GAL ont effectivement fait plus de morts sur le territoire français que le Front de libération nationale corse (FLNC) ou Action directe, pourtant beaucoup plus souvent pointés du doigt. Des juges français ont essayé de se pencher sur le cas des “galeux bleu-blanc-rouge” mais se sont heurtés à un mur politico-policier. J’imagine que le PS et le RPR, successivement au pouvoir à l’époque, ont fait ce qu’il fallait pour que rien ne transpire, même si, selon toutes vraisemblances, ils n’avaient pas de responsabilité directe dans les agissements des “galeux” français. Mais je ne désespère pas de connaître un jour la vérité sur eux.

Quel est votre sentiment aujourd’hui, plus de 35 ans après ?

Le même que sur le moment. Qu’on soit ou pas pour l’indépendance du Pays Basque ou de n’importe quelle région du globe d’ailleurs, un état dit démocratique ne peut pas procéder avec des méthodes fascistes. Je ne suis pas naïf, je sais que le terrorisme d’État existe, ici ou ailleurs, hier comme aujourd’hui, mais il ne faut pas s’en accommoder, il faut au contraire toujours s’insurger contre ces combines secrètes, illégales et immorales, surtout quand ces mêmes pays se permettent de donner des leçons de démocratie à l’extérieur ou à l’intérieur de leurs frontières.

Voilà un an que vous avez publié ce livre. Quel écho en avez-vous reçu ?

Lors de ma première tournée au Pays Basque Nord à l’été 2017, deux mois après la sortie de Galeux, j’ai pris conscience que mon livre réveillait de vieux souvenirs chez certains ou éveillait la curiosité chez d’autres, notamment les touristes, nombreux à ce moment de l’année qui ignoraient complètement la situation. Comme “parisien”, j’ai parfois suscité la méfiance, et quelques-uns m’ont aussi reproché d’avoir rapporté ces faits sous forme de roman, qui plus est un polar, fût-il politique (“on ne joue pas l’Histoire”). Mais j’ai surtout reçu de nombreux remerciements et de témoignages de sympathie, parfois très touchants, pour avoir, même modestement, contribué à braquer les projecteurs, plus de 30 ans après, sur une période qu’on commence à oublier.

Ailleurs en France, lors des salons auxquels je participe, j’ai à cœur de raconter aux visiteurs qu’il n’y a pas si longtemps, dans leur pays, se sont déroulés des événements scandaleux qu’on ne pas passer sous silence. Lors du Salon du polar d’Annecy en juin dernier, une dame, espagnole, qui vit sur les bords du lac depuis longtemps, m’a même remercié. Elle était sûre d’en apprendre plus sur la politique de son pays à cette époque que ce qu’elle y a appris quand elle y vivait étant enfant.


Galeux, édité en mai 2017, aux éditions Cairn. 11 €.
Bruno Jacquin dédicacera Galeux à Bayonne le 22 octobre à la FNAC (14h à 18h) et le 24 octobre à Cultura (14h à 18h).