Goizeder TABERNA

Le procès du Fijait

La salle d’audience du tribunal de grande instance de Bayonne a été la scène du procès du Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes, mardi après-midi.

Près de 150 anciens prisonniers se sont rassemblés devant le palais de justice de Bayonne pour demander la désactivation du Fijait. © Isabelle MIQUELESTORENA
Près de 150 anciens prisonniers se sont rassemblés devant le palais de justice de Bayonne pour demander la désactivation du Fijait. © Isabelle MIQUELESTORENA

Cela a été un procès à plusieurs étages. D’abord, celui du Fijait, le Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes, puis celui de Peio Irigoien. Neuf avocats se sont associés, ce mardi 11 septembre, au tribunal correctionnel de Bayonne, pour défendre cet habitant de Briscous, mais surtout, pour remettre en question la compatibilité entre le fichier et la Constitution française.

L’audience a débuté avec une demande de question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Me Paulus Basurco a énuméré une liste de griefs qu’engendrerait ce fichier dans lequel est inscrit P. Irigoien. "Le plus grave", relève l’avocate, la vulnération du droit au respect de la vie privée. Elle estime que "l’inscription au Fijait équivaut dans les faits à la libération conditionnelle", tellement les mesures qui en résultent seraient contraignantes.

Le témoignage d’Eñaut Aramendi devant la cour est venu renforcer cette idée. Pendant un an, après avoir purgé sa peine, il a respecté les obligations instaurées par le fichier. "J’avais l’impression que le contrôle judiciaire se poursuivait. J’avais compris qu’au quotidien, cela allait compliquer les choses, et ce, pendant dix ans", raconte cet habitant d’Urrugne régulièrement amené à traverser la Bidasoa pour des raisons professionnelles comme personnelles. Depuis, son recours a été accepté et son nom effacé du fichier. Il garde encore le numéro de l’officier de police en charge de son suivi, au cas où.

Le procureur de la République, Samuel Vuelta Simon, a douté du sérieux de la demande de QPC, notamment parce que le Conseil constitutionnel a validé un fichier similaire, le Fijais, destiné à localiser les auteurs d’agressions sexuelles et qui comporterait les mêmes garanties. Une analyse récusée par l’avocate, considérant que les deux fichiers n’ont pas les mêmes obligations. Par ailleurs, S. Vuelta Simon a justifié la création de ce fichier par la gravité du terrorisme. Après plus d’une heure de suspension de séance, les juges ont finalement refusé de transmettre la demande à la Cour de cassation.

"En d’autres heures"

A suivi une demande de nullité en raison d’un vice de forme, puis l’audience s’est poursuivie sur le fond. Me Mendiboure s’est interrogée sur la compatibilité entre la loi et la Convention européenne des droits de l’homme. Lorsqu’elle a mis en doute le fait que le procureur, en charge de l’inscription au fichier, ne représente pas une autoritairé judiciaire indépendante dans le sens de la Cour européenne des droits de l’homme, son représentant à Bayonne a voulu rappeler : "En d’autres heures, ce parquet a été restauré comme autorité judiciaire". Il a fait allusion à l’intervention du parquet lors de transferts de détenus incarcérés à l’étranger et demandant de finir leur peine dans l’Etat français, lors du désarmement d’ETA et dans les enquêtes sur le GAL et le Bataillon Vasco Español. "Pour le reste, il est considéré comme autorité de police", a-t-il regretté.

Le prévenu était poursuivi pour "non justification de son adresse". Condamné en 2011 pour association de malfaiteurs dans un contexte d’attentats dénonçant la spéculation immobilière, des gendarmes lui notifient son inscription au Fijait, en novembre 2016. Quinze jours plus tard, il aurait dû communiquer à la Gendarmerie son adresse, mais il ne l’a pas fait. Le procureur voit là un refus de réinsertion de sa part.

Il a rappelé le contexte dans lequel se passent les faits, listant les attentats perpétrés par les différentes organisations entre 2007 et 2009, puis entre 2012, année de la libération de Peio Irigoien, et 2016. "La menace [des attentats] existait lors de son arrestation, elle existait lors de sa condamnation et lors de sa libération, elle existe encore aujourd’hui", pointe-t-il, tout en reconnaissant les pas franchis par ETA ces dernières années.

Vraies raisons

"J’ai l’impression de ne pas vivre dans le même territoire que Monsieur le procureur", s’est étonné Me Aramendi. Il a rejoint le représentant du parquet sur le fait que les dates sont importantes, mais en ajoutant : "celles du dossier qui nous occupe". Une période marquée par des avancées dans le processus de résolution du conflit. Il attend de la Cour des pas qui vont dans ce sens : "Votre décision sera importante, Monsieur le président, pour le processus de résolution du conflit".

Puis, Filipe Aramendi s’est interrogé sur les vraies raisons des poursuites dont son client fait l’objet alors qu’il a un emploi stable et un domicile fixe depuis sa libération en 2012 : "ce n’est pas parce qu’il a refusé de donner son adresse. On lui reproche encore les faits pour lesquels il a été condamné". Le procureur a requis "une peine d’au moins 800 euros", la défense a demandé la relaxe. La décision de la cour est attendue le 16 octobre prochain.