Goizeder TABERNA

Maritxu Paulus Basurco : “Au-delà du cas de Peio Irigoien, c’est le procès de ce fichier”

En liberté depuis 2012 après avoir accompli sa peine, Peio Irigoien sera entendu au tribunal correctionnel de Bayonne mardi 11 septembre, pour s’être soustrait aux obligations imposées par le Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes.

Maritxu Paulus Basurco. © Isabelle MIQUELESTORENA
Maritxu Paulus Basurco. © Isabelle MIQUELESTORENA

Fijait, c'est le nom donné à un fichier créé en 2015, au lendemain des attentats de Paris. L'objectif du Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes (Fijait) est de localiser et identifier des personnes, ainsi que de prévenir le renouvellement des infractions à caractère terroriste. Poursuivi pour ne pas avoir respecté ses règles, Peio Irigoien encourt une peine de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Pour le défendre, neuf avocats du Barreau de Bayonne se sont associés. Parmi eux, Maritxu Paulus Basurco.

Combien de Basques sont précisément concernés par le fichier Fijait ?

Je ne prétends pas avoir les chiffres exacts, tout simplement parce qu’il est très plausible que des personnes aient reçu une notification sans avoir compris sa portée. Cela nous est déjà arrivé. Nous avons noté 37 détenus, 20 anciens détenus vivant au Pays Basque Nord et au moins 74 vivant au Pays Basque Sud.

Il s’agit de personnes se trouvant en prison au moment où ce fichier a été mis en place ?

Pas nécessairement. Lors de son application, [les autorités compétentes, ndlr.] ont procédé à une reprise de casier judiciaire. Ainsi, des personnes condamnées antérieurement ont été inscrites au fichier. C’est d’ailleurs le cas de Peio Irigoien : il a reçu la notification quatre ans après sa mise en liberté.

Obligation de déclarer tout changement d’adresse et tout déplacement à l’étranger, c’est la principale mesure liée au fichier. Y en a-t-il d’autres ?

Je voudrais quand même préciser qu’il y a obligation de déclarer l’adresse tous les trois mois, personnellement, en se rendant au commissariat ou à la gendarmerie. Il y a également obligation de signaler tout changement d’adresse dans les quinze jours et tout déplacement en dehors du territoire national, minimum 15 jours avant. Une des conséquences qui a des effets très importants pour la personne, c’est l’inscription au fichier des personnes recherchées. Dès qu’il y a le moindre contrôle, les policiers reçoivent l’avis comme quoi la personne est recherchée. Des personnes contrôlées lors de contrôles routiers anodins se sont retrouvées retenues sur place et conduites au commissariat le temps de vérifications. 

Dans le cas des personnes incarcérées, comment s’appliquent ces mesures ?

Dans leur cas, le Fijait n’a pas d’effet immédiat, les obligations sont repoussées au moment de la libération.

Ce fichier concerne les personnes condamnées mais également mises en examen. Cela concerne-t-il des Basques ?

A ce jour, nous ne connaissons pas ce cas de figure ici. A notre connaissance, les magistrats n’ont pas utilisé cette faculté, alors qu’ils l’ont fait dans le cas, en particulier, de ce que l’on appelle le terrorisme islamiste.

La loi sur le Fijait a un effet rétroactif. Cela pose-t-il un problème du point de vue juridique ?

Cela pose un problème essentiel. Au moment où l’on commet des faits délictueux, on est sensé savoir à quelle sanction on peut s’attendre. C’est un principe essentiel. Or, les personnes condamnées avant la création de ce fichier ne savaient pas à ce moment-là que la commission des faits reprochés pourrait entraîner l’inscription à ce fichier, avec des obligations. Il contrevient au principe de non-rétroactivité des peines.

En refusant de respecter ces mesures, Peio Irigoien a semble-t-il enfreint la loi. Comment comptez-vous le défendre ?

D’abord, Peio Irigoien a refusé la notification des obligations, il ne l’a pas signée. Aujourd’hui, on lui reproche le délit de non-justification des obligations posées, mais nous constatons des problèmes à différents niveaux, notamment, celui du respect de la Constitution française et des conventions signées par la France.

Vous allez donc remettre en cause le bien fondé de ce fichier ?

C’est bien cela, de ce fichier et des obligations qui en découlent. Ce procès va au-delà du cas de Peio Irigoien, c’est le procès de ce fichier.

Neuf avocats ont participé à la préparation de sa défense. Pourquoi vous êtes-vous regroupés ?

Parce que ce procès pose des problèmes de principe qui, en tant que défenseurs, nous choquent. Nous constatons également des problèmes vis-à-vis de la situation actuelle au Pays Basque et du fait d’imposer des obligations à des personnes qui ne présentent absolument pas les risques que ce fichier est sensé éviter ou prévenir. Le procureur n’est pas tenu de les inscrire dans ce fichier. Or nous nous rendons compte que l’inscription a été faite uniquement sur la base de la condamnation pour des faits de terrorisme et non pas d’une étude au cas par cas de sa nécessité, compte tenu des risques de renouvellement des faits et des difficultés de localisation des personnes. Deux critères qui devraient pourtant motiver l’inscription au fichier.

Il semblerait que les magistrats en charge du Fijait n’ont pas pris en compte le contexte politique dans le cas des prisonniers et anciens prisonniers basques. Savez-vous si ce dossier fait partie des discussions entre la délégation basque et le ministère de la Justice ?

Je n’ai pas les éléments pour répondre à cette question, mais ce qui paraît évident, c’est que dans un nouveau contexte apaisé au Pays Basque, ce type de mesure ne devrait pas exister.

Une décision politique pourrait-elle exclure les prisonniers et anciens prisonniers basques de ce fichier ?

La demande d’effacement est adressée au procureur et c’est évident que si la décision de retirer systématiquement les Basques inscrits dans ce fichier est prise, il est très facile d’effacer les informations les concernant. Il s’agit d’une question de volonté.