Antton Etxeberri

Un procès hors norme

Quatorze ans après leurs arrestations, le souletin Peio Serbielle et les Béarnais Maryse Lavie, Didier Arricau et son frère Robert Arricau étaient convoqués par la justice française ce mardi 22 mai au tribunal de grande instance de Paris, pour avoir hébergé et eu des liens avec des responsables d’ETA, entre 1999 et 2004. Jugés 14 ans après leurs arrestations, ce procès s’annonçait hors norme, et la première journée d’audience l’a été.

Peio Serbielle a quitté la salle du tribunal, en pleine audience. DR
Peio Serbielle a quitté la salle du tribunal, en pleine audience. DR

Si la séance a du mal à démarrer ce mardi après-midi en raison de l’absence des trois magistrats qui "se sont perdus dans les couloirs", Jean-François Blanco, avocat de Peio Serbielle, démarre lui au quart de tour, en demandant d'entrée l’annulation totale de la procédure, eu égard du délai non raisonnable de la procédure : "Serbielle a été entendu quatre fois par le juge d’instruction, dont la dernière en 2005. Depuis, plus personne n’a interrogé mon client, et treize ans après, nous voici ici. Peut-on considérer comme normal le délai infligé à ces quatre prévenus ? La réponse est bien évidemment que non, et cela justifie que cette procédure soit considérée comme nulle. Je demande au tribunal de sanctionner cette méthode, de ne pas valider la procédure". Et d’insister : "La seule sanction est l’annulation de la procédure".

Son confrère avocat, Maître Etelin, qui défend les trois Béarnais, enfonce le clou : "Cette procédure est une série de désastres. Jésus aurait ressuscité Lazare, il s’agit pour vous de ressusciter une procédure morte. Il est impossible de juger ce dossier". Et de réclamer, lui aussi, la nullité de la procédure. Demande à laquelle le procureur Olivier Dabin n'adhère pas, on s'en doute, acquiesçant du bout des lèvres de reconnaître les délais "non raisonnables" de ce procès, pour lesquels les accusés "pourraient prétendre à des dommages dans une autre juridiction". Le président du tribunal décide finalement de joindre cette demande sur le fond et de donner sa réponse au moment du verdict.

Audition des accusés

Le couple Maryse Lavie et Didier Arricau sont les premiers à être appelés à la barre pour répondre aux questions des magistrats. Accusée d’avoir hébergé Mikel Albizu et Marixol Iparragirre entre 1999 et 2004, dans un gîte lui appartenant, Maryse Lavie assume avoir très vite compris que ses deux hôtes étaient des clandestins d’ETA : "je voyais ETA comme les garde-fous de la corruption en Espagne, qui luttaient contre le bétonnage du littorale. Ils ont empêché de construire une centrale nucléaire". La propriétaire des lieux déclare avoir lié une grande amitié avec ses locataires : "en discutant avec eux, ils étaient posés, agréables. C'était une chance d'avoir des gens comme eux, à côtoyer, avec un niveau intellectuel, des discussions intéressantes. Ce n'étaient pas des gens dangereux. Ils me rassuraient, je leur faisais confiance. Je savais qu’ils étaient clandestins, mais l’amitié était plus forte".

Face à la question du juge qui lui demande si elle a aujourd’hui des regrets, l’accusée récuse : "du fait qu’ils ont déposé les armes, et qu’ils ont demandé pardon, je suis surtout très fière de les avoir connus". Et à son tour, elle interroge le juge : "Le soutien apporté était de leur permettre d'avoir du temps pour arriver à des négociations. Qu'avez-vous fait des documents que vous avez retrouvé dans leurs affaires et qui montraient qu'ils voulaient négocier avec Zapatero ?". Son avocat renchérit : "des documents internes à ETA qui interrogeaient sur la nécessité de la lutte armée ont été trouvés dans leur domicile pendant la perquisition". Silence gêné du tribunal.

Le mari de Maryse Lavie, Didier Arricau, apparaît quelque peu étranger à cette histoire de location. "Moi j’ai assez de boulot avec mes canards et pintades. Le gîte, c’est ma femme qui s’en occupe". Et à la question de savoir s’il n’est pas inquiet d’avoir eu de tels locataires, la réponse déboussole quelque peu le tribunal : "ces locataires étaient sans problème. Ils réglaient leurs loyers, et je vais vous dire une chose, il ne faut pas croire que les locataires précédents étaient forcément meilleurs, bien au contraire".  Le juge, qui interroge Arricau sur des dates et faits qui remontent à plus de quinze ans, vient à bout de sa patience : "je ne me souviens plus de tous ces détails. Je vous ai tout dit dans mes auditions, tout est écrit. Je ne souhaite plus répondre à vos questions". Et se rassoit à sa place, sans même y avoir été invité.

Pressions policières

Après une pause de dix minutes, le tribunal appelle ensuite Robert Arricau, le frère du propriétaire, qui a présenté les deux militants d’ETA à sa belle-sœur. S’il assume son rôle dans cette affaire, il réfute en revanche l’accusation portée contre lui d’avoir pendant des années conduit des clandestins dans son véhicule. Des accusations basées, selon lui, sur des pressions policières. "J’ai déclaré des choses pendant ma garde à vue. On a fait pression sur moi pendant les interrogatoires pour que je dise des choses qui ne correspondent pas à la vérité".

Peio Serbielle, lui, préfère utiliser son droit au silence. Tout en l'expliquant (cf document joint). "Aujourd’hui les armes se sont tues ! Et c’est heureux ! Comment avancer maintenant ? En réfléchissant peut-être à la mise en place d’une justice transitionnelle… Aujourd’hui, Monsieur le président, le Pays Basque a rendez-vous avec son Histoire. Soyez, vous aussi, au rendez-vous avec l’Histoire !". Puis il prend son sac et sort de la salle, sans aucun autre commentaire. Trouble chez le président du tribunal, qui poursuit, médusé, l’audience, avec la lecture des rapports des experts psychologues et psychiatriques concernant les prévenus. Fin de séance. Le procès se poursuivra mercredi après-midi avec les réquisitions du procureur et les plaidoiries des deux avocats… en l’absence de Peio Serbielle.