Béatrice MOLLE-HARAN

Quand le verdict des urnes dérange

Le blocage de l’Etat français sur la révision constitutionnelle est vécue sur l’île comme un déni de démocratie, et un refus de prendre en compte la volonté des Corses exprimée par le suffrage universel

Béatrice MOLLE-HARAN. © Sylvain SENCRISTO
Béatrice MOLLE-HARAN. © Sylvain SENCRISTO

Notre dossier de cette semaine traite de la question corse et de l’inscription de ce territoire et de ses spécificités dans la Constitution, principal point de discorde entre l’Etat et la majorité terriroriale obtenue par les nationalistes, autonomistes et indépendantistes réunis. Au-delà des arguties juridiques avancées par les uns et les autres quant à la matérialisation de cette revendication, se pose la question de la légitimité du verdict des urnes.

En décembre 2017 lors des dernières élections terriroriales les Corses ont voté majoritairement pour la coalition Pè a Corsica menée par Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni sur la base d’un programme. Le blocage de l’Etat français sur la révision constitutionnelle est vécue sur l’île comme un déni de démocratie et un refus de prendre en compte la volonté des Corses exprimée par le suffrage universel. Que cela plaise ou non.

De ce point de vue, la situation est analogue en Catalogne où une courte majorité, certes, mais une majorité et c’est bien un des principes de la démocratie, s’est prononcée pour des candidats en faveur d’une République catalane indépendante. On eût souhaité un processus de négociations entre l’Etat espagnol et la Generalitat à partir de ce résultat. Et l’on assiste depuis des mois à la détention de plusieurs ministres, conseillers et responsables d’associations catalans accusés de rebellion et de sédition, car la déclaration unilatérale d’indépendance proclamée, peut-être à tort, mais là n’est pas le problème, est considérée comme inconstitutionnelle. Il y a donc des prisonniers politiques en Catalogne et bon nombre de politiques indépendantistes catalans ont pris le chemin de l’exil espérant échapper aux geôles espagnoles. Une situation ubuesque en pleine Europe du XXIe siècle, quand la seule réponse apportée par un Etat tout puissant à une revendication exprimée dans les urnes mène à une situation extrême que représente la prison ou l’exil. Deux processus qui en Corse et en Catalogne se sont déroulés de façon pacifique et dont les réponses apportées ne peuvent qu’exacerber les tensions.

L’interview de l’ex-ministre de la Justice Christiane Taubira s’exprimant sur la dissolution d’ETA et sur la sortie du conflit marque les étapes à franchir désormais. Elle souligne “l’esprit d’abnégation et un sens de responsablité hors du commun” nécessaire à un processus conduisant à la normalisation, et de “l’indispensable réconciliation afin que les désaccords s’expriment dans le cadre démocratique”. Un cadre pas toujours respecté par les Etats, la situation en Corse et en Catalogne en sont un exemple. Rien pourtant n’est aussi précieux aujourd’hui que de mener cette bataille dans ce cadre démocratique. C’est le pari de la société civile basque lancé il y a quelques mois et appuyé par les élus, dont le président de la CAPB et maire de Bayonne Jean-René Etchegaray, rôle moteur s’il en est dans cette affaire.

Comment ne pas terminer sans évoquer la situation de Seaska et de son manque d’enseignants pour la prochaine rentrée. Une situation préoccupante de manque de postes qui touche aussi le service public. Loin de nous de rentrer dans une surenchère. Reste que si le gouvernement souhaite mener une véritable politique de “revalorisation des langues régionales” la volonté politique et les moyens qui vont avec doivent suivre. Au nom de la réparation historique et de la démocratie.