Pierre Recarte

LGV : quand les juges du Conseil d’Etat se déjugent…

L'enquête publique réalisée à la fin de l'année 2014 avait émis un avis défavorable à la LGV Bordeaux-Dax-Toulouse, qui n'était que consultatif
L'enquête publique réalisée à la fin de l'année 2014 avait émis un avis défavorable à la LGV Bordeaux-Dax-Toulouse, qui n'était que consultatif

Le Conseil d’Etat a suivi les conclusions du rapporteur public en rejetant tous les recours et en confirmant la déclaration d’utilité publique (DUP) du projet de LGV Bordeaux-Dax-Toulouse.

C’est évidemment une déception au regard au travail colossal réalisé par certains d’entre nous.

Une jurisprudence bafouée

Nous avions donné à cette juridiction de nombreux motifs pour annuler la DUP dont l’absence de financement, argument qui avait été déterminant dans l’annulation de la DUP de la LGV Poitiers-Limoges.

En effet, les sages avaient jugé ainsi :

8. “Considérant que le dossier d’enquête […] ne contient ainsi aucune information précise relative au mode de financement et à la répartition envisagés pour le projet […] l’insuffisance dont se trouve entachée l’évaluation économique et sociale a eu pour effet de nuire à l’information complète de la population et a été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative ; que le décret attaqué a ainsi été adopté dans des conditions irrégulières.”

Nous avons fait valoir que l’évaluation socio-économique du projet de LGV Bordeaux-Dax-Toulouse ne contenait pas d’information précise relative à son financement. Le Conseil d’Etat nous donne raison mais ne suit pas sa propre jurisprudence en jugeant ainsi :

11. “Considérant […] que le dossier d’enquête ne contient ainsi aucune information précise relative au mode de financement et à la répartition envisagés pour ce projet […] l’insuffisance dont se trouve entachée l’évaluation économique et sociale n’a pas eu pour effet de nuire à l’information complète de la population et n’a pas été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative.”

Pour arriver à ses fins, le Conseil d’Etat a considéré que “la répartition des financements, telle qu’envisagée à la date de l’enquête publique, avait été indiquée par le ‘protocole d’intention pour la réalisation de la ligne à grande vitesse Sud Europe Atlantique’ intervenu fin 2008 entre l’Etat, Réseau ferré de France et un grand nombre de collectivités territoriales et d’établissements publics de coopération intercommunale”.

L’ouverture d’une “boite de Pandore”

Or dans les deux pages (sur les 32 000) consacrées aux modalités de financement du projet, il n’est fait aucune mention sur l’existence de ce protocole qui ne figure dans aucune autre pièce du dossier. De plus ce protocole non engageant n’a jamais été signé.

Le rapporteur public a considéré que le protocole était porté à la connaissance du public via un lien internet figurant au bas de la page 9 de l’avis de l’autorité environnementale. Or ce lien n’est pas actif et renvoie au site de la Région Nouvelle-Aquitaine ! Il est également mentionné dans la contre-expertise du CGI sans aucune information quant à son contenu.

Dans ces conditions, il est bien démontré que le public n’a pas pu prendre connaissance du contenu du protocole de financement, ce qui a nécessairement nui à sa bonne information.

Le Conseil d’Etat n’a pas tenu compte de ces remarques et s’expose à ouvrir une véritable “boîte de Pandore”. En effet, une telle jurisprudence pourrait être regardée comme autorisant n’importe quel maître d’ouvrage à ne pas produire des informations normalement requises par la loi ou le règlement au cours de l’enquête publique (notamment pour des raisons stratégiques) sans que l’autorisation administrative sollicitée n’encourt le moindre risque d’annulation pour ce motif.

Nous étions conscients que tout se jouait en terrain miné voire vicié car les associations ne se glissent pas dans les couloirs ministériels, ne dinent pas en ville avec “les gens qui comptent”, ne commandent pas des sondages “bidons” ou des pages publicitaires. Elles œuvrent avec sérieux et dignité et ne frayent pas dans la bassesse et l’hypocrisie.

Le combat continue

Le Conseil d’Etat n’a pas donné le coup de grâce aux LGV inutiles, ruineuses et destructrices. Les LGV ne desservent pas les territoires, favorisent la métropolisation, ont des retombées économiques incertaines, leurs coûts cannibalisent la SNCF et sacrifient les trains du quotidien. Moderniser les lignes existantes peuvent répondre aux défis d’un renouveau du ferroviaire. Tous nos arguments sont repris dans toutes les analyses et par les médias. Vingt-cinq ans après, unanimement, les rapports officiels vont dans notre sens (Cour des comptes, Assises du ferroviaire, rapports Bianco, Auxiette et Duron, études économiques de Marie Delaplace, analyses d’Yves Crozet sur l’hyper mobilité). Aujourd’hui les faits nous donnent raison, n’en déplaise à nos adversaires, et c’est notre fierté d’être ceux qui ont forcé le destin.

La mort lente des LGV est programmée.

La décision politique revient au Gouvernement, les projets prioritaires seront annoncés dans le cadre de la loi d’orientation des transports. Nous restons mobilisés et notre combat continue pour obtenir enfin l’annulation de ce projet.