Goizeder TABERNA

Jean-René Etchegaray : “La disparition d’ETA change la donne”

Le président de la Communauté d’agglomération Pays Basque a reçu les participants à la Rencontre d'Arnaga, célébrée le 4 mai, accompagné de l’avocat sud-africain Brian Currin. Un événement de dimension internationale pour acter la fin de l’organisation armée, qui a mis la lumière sur les enjeux du moment. Jean-René Etchegaray revient dessus.

Jean-René Etchegaray. © Bob EDME
Jean-René Etchegaray. © Bob EDME

En quelques mots, quel bilan faites-vous de la rencontre d’Arnaga ?

J’en fait un bilan positif. Cette rencontre internationale devait permettre à la communauté internationale de prendre acte de toutes les étapes franchies depuis la Déclaration d’Aiete en 2011.

Plusieurs représentants institutionnels étaient absents, parmi eux, ceux des Etats acteurs du conflit. On peut se dire que la valeur de cette rencontre n’est que symbolique ?

Elle a été symbolique, dans le sens où elle a permis de vérifier que toute les formations politiques en France, mais aussi un bon nombre de formations politiques côté espagnol, ont déclaré leur satisfaction de voir ce processus de paix prendre un nouveau tour. Mais elle n’était pas que symbolique parce qu’une rencontre, c’est aussi une façon d’acter une situation, de donner plus de lisibilité à l’action que mène la société civile, la communauté des élus et la communauté internationale. Il est nécessaire de vérifier de temps en temps que nous sommes en phase.

Tous ceux qui étaient à Aiete n’ont pas pu venir à Cambo. En revanche, l’ensemble de ces personnes ont fait connaître leur soutien à la démarche. Nous avons beaucoup de soutiens à l’international, nous n’avons signalé que le nom de personnalités qui avaient une certaine visibilité. C’est vrai, on aurait préféré que les représentants de l’Etat français et de l’Etat espagnol y participent, ou que la Communauté autonome basque et celle de la Navarre y soient. Cela n’a pas été le cas, dont acte. Je n’apporte aucun jugement de cette situation. Je considère néanmoins, et c’est cela qui me rassure, que les lignes ont bougé.

Le PNV était présent mais reproche au communiqué d’ETA de ne pas avoir réalisé davantage d’auto-critique sur son action et exprimé un pardon sans "ambiguïté". Comment réagissez-vous à cette lecture ?

J’entends ce que nos collègues du sud et en particulier du PNV, en l’occurrence Monsieur Ortuzar, disent sur le sujet. J’ai toujours dit, et je le répète, que l’appréhension de ce sujet ne peut pas être la même de ce côté-ci de la frontière par rapport au sud. Une grande partie des victimes de l’action d’ETA se trouvent au sud, et donc les forces politiques et pas forcément que le PNV, c’est aussi le cas du PSE et du Partido Popular, ont sur ce sujet quelques difficultés que j’entends. J’avais le sentiment qu’on pouvait peut-être les dépasser.

Je supporte quand même assez mal que l’on puisse me faire le reproche de n’avoir aucune affliction par rapport au sort des victimes. Ce n’est pas ma nature, ce n’est pas ma culture, je serais tenté de dire, ce n’est pas ma religion. Je ne considère pas que ce que je fais ici soit attentatoire à la mémoire des victimes, nullement. En même temps, je comprends que les choses ne soient pas abordées au sud du Pays Basque de la même façon qu’au nord. J’ai des clés de lecture qui me permettent de comprendre la position du PNV.

Auriez-vous aimé lire un autre communiqué d’ETA ?

Le communiqué d’ETA va quand même très loin par rapport à ce que nous pensions au départ. Sans doute, j’aurais préféré que l’on ne distingue pas les catégories de victimes. Toutes les victimes, qu’elles soient impliquées dans l’action politique ou pas, qu’elles soient d’un côté comme de l’autre, sont toutes aussi respectables. Je ne crois pas qu’ETA ait voulu avoir une vision si réductrice, mais si c’était le cas, je considère qu’il faut s’adresser à l’ensemble des victimes sans exclusive. 

Le président de la Communauté autonome basque dit que la conférence d’Arnaga aurait dû se passer dans son territoire et que le seul Lehendakari, c’est lui. Que répondez-vous aux propos d’Iñigo Urkullu ?

S’il avait fallu attendre que le sud reçoive l’équivalent de ce qui s’est passé à Arnaga, sans doute aurait-il fallu attendre davantage. Le temps était compté. Nous avons attendu sept ans depuis Aiete, mobilisés que nous étions, chaque semaine et chaque mois dans des réunions que nous organisions, nous les élus du nord, à voir comment les choses pouvaient évoluer. La société civile n’en pouvait plus, elle a pris l’initiative. Et nous, élus du nord, avons considéré qu’il était urgent de trouver une solution rapide.

Urgent, pourquoi ?

Sept ans, c’est un temps considérable. Et nous avons une conjonction de données, en particulier du côté français, qui rendait les choses possibles. Je continue à rendre hommage au gouvernement de Bernard Cazeneuve, je continue à rendre hommage au gouvernement d’Edouard Philippe et au président de la République actuel qui rendent possibles les discussions. Le France n’était pas à Cambo, mais elle n’empêche pas les choses de se dérouler. C’est pour cela que j’aurais tout autant aimé que les choses se passent au sud du Pays Basque, j’y serais allé sans réserves. Mais s’il fallait, pour que les choses aillent plus vite, qu’elles se déroulent de ce côté-ci, il ne fallait pas laisser passer une telle opportunité.

Et concernant ses propos selon lesquels il serait le seul Lehendakari ?

Je ne conteste pas que Monsieur Urkullu soit le seul Lehendakari. Je ne me suis jamais auto-attribué le titre de "lehendakari". C’est vrai qu’un certain nombre de journalistes, qu’un certain nombre de citoyens utilisent ce mot pour me désigner, mais je ne l’ai jamais demandé et je ne l’affiche jamais. Je me présente toujours comme président de la Communauté d’agglomération Pays Basque et cela me suffit.

A l’entendre, on pourrait penser qu’il n’est pas au courant du travail que vous menez avec le ministère de la Justice et du rôle que vous avez dans ce dossier. Le tenez-vous au courant ou reçoit-il les informations ?

Je ne cache pas les entretiens que j’ai au ministère de la Justice en France, pour faire avancer certains dossiers. Les actes que je mène, je les mène aussi comme un élu de la République française, sans aucun état d’âme et sans m’en cacher.

Avez-vous une voie de communication avec les institutions du Pays Basque sud sur ces questions ?

Avec le Pays Basque Sud, il est vrai que depuis le 8 avril dernier, nous n’avons que des relations indirectes. Mais j’ai souhaité, je sais que c’est aussi la volonté de Monsieur Urkullu, que l’on puisse se rencontrer prochainement. Je souhaite rencontrer le Lehendakari le plus rapidement possible.

La seule réaction à la Déclaration finale d’ETA de la part du gouvernement français a été celle de la secrétaire d’Etat aux affaires européennes. Aucune réaction de l’Intérieur ou de Matignon. Considérez-vous cela comme de l’indifférence ?

Je ne crois pas qu’il y ait, de la part du gouvernement français, de l’indifférence. Si tel était le cas, j’en aurais eu des signes. Entre participer à la rencontre internationale de Cambo et l’indifférence, il y a une grande marge. Si l’Etat ne souhaite pas que les choses se fassent, il saurait le manifester. Nous entrons dans une phase où j’estime que les deux Etats, français et espagnol, doivent être parties prenantes.

Où en sont les discussions entre le ministère de la Justice et la délégation du Pays Basque ? Va-t-il accélérer les rapprochements ?

Je souhaite poursuivre l’action menée dans le cadre de cette méthodologie mise en place avec le ministère de la Justice, tout cela dans un rapport de confiance. Nous avons avancé sur quelques rapprochements de prisonniers, moins que ce que nous espérions. Nous n’avons pas réglé la question des femmes pour des raisons plus matérielles que judiciaires. Nous ne sommes pas allés jusqu’à la levée du statut des DPS, et sans doute faudra-t-il continuer à avancer sur la question des libertés conditionnelles.

Concernant le rapprochement, il faut comprendre qu’il y a une administration pénitentiaire qui a sa propre logique, et nous avons pris la mesure de ce que cela pouvait signifier. Le gouvernement avait véritablement l’intention de permettre le rapprochement, cela n’a pas été possible pour des raisons à caractère administratif et matériel.

Y a-t-il des résistances au sein de l’administration pénitentiaire ?

Ce n’est pas impossible que des difficultés que j’évoque tiennent à un certain nombre de lourdeurs, voire un certain nombre de résistances qu’on aurait pu constater çà et là.

Et concernant les prisonnières ?

Il y a peu de prisons qui peuvent aujourd’hui les recevoir. La mixité en prison est très difficile à gérer et dans les lieux où cela pourrait s’imaginer, il faudrait engager un programme de travaux.

Quelles sont les futures étapes du processus de paix pour vous qui êtes président de la CAPB ?

Les conséquences du conflit. Nous devons absolument prendre en considération le plus rapidement possible les souffrances des victimes. Sans doute faudrait-il le faire comme dans d’autres pays dans le monde, au travers de ce qu’on appelle la justice transitionnelle et la mise en place, peut-être, d’une commission justice et vérité. Mais nous avons également le dossier des prisonniers. On a déjà commencé, mais la disparition d’ETA change la donne. La rencontre internationale de Cambo est un événement majeur : ETA a disparu, personne ne peut se revendiquer de cette organisation. Cela doit nous amener à considérer différemment la question des prisonniers, dans le respect de l’Etat de droit.

Une commission justice et vérité mise en place localement, puisque les Etats ne seraient pas engagés dans cette démarche, aurait-elle suffisamment de crédibilité aux yeux de tous ?

C’est de tout cela dont il faut réfléchir maintenant. C’est un travail de groupe à mener, et moi, je ne suis qu’un acteur parmi tant d’autres.