Antton ETXEBERRI
Entrevue
Gilbert PAYET
Préfet des Pyrénées-Atlantiques

Gilbert Payet : Il n'y a pas eu de conflit armé

Dans un entretien accordé à MEDIABASK, Gilbert Payet, préfet des Pyrénées-Atlantiques depuis six mois, s’est exprimé sur l’actualité. Dans cette première partie, les questions portant sur le processus de paix, le désarmement, les prisonniers basques, l’évolution institutionnelle ont été abordées.

Gilbert Payet, préfet des Pyrénées-Atlantiques. © Isabelle MIQUELESTORENA
Gilbert Payet, préfet des Pyrénées-Atlantiques. © Isabelle MIQUELESTORENA

Parlons d’abord du processus de paix au Pays Basque. Votre prédécesseur a joué un rôle important au moment du désarmement d’ETA, le 8 avril 2017. Quel regard portez-vous sur ces évènements ?

L’expression “processus de paix“ m’étonne et m’interpelle, et je ne peux y adhérer. Jusqu’à preuve du contraire, la France n’a jamais été en guerre et cette partie du territoire français non plus. S’agissant de ce qui peut se passer en Espagne, il appartient aux autorités espagnoles de se prononcer. Ici, nous avons connu une période troublée avec le phénomène ETA et ses conséquences. Il va de soi que je me félicite que l’on a aujourd’hui une situation beaucoup plus apaisée. Mais apaisée ne veut pas dire qu’il y a une paix. J’ai entendu beaucoup d’élus me parler de cette période troublée avec les conséquences sur les familles, les relations entre les gens, l’insécurité, les drames…

Il est important de ne pas parler trop vite d’oubli, puisqu’après tout, ces drames ont existé, des faits particulièrement graves ont été commis. J’ai été en Corse deux ans. Quand je parlais de continuité de l’Etat, beaucoup de Corses me disaient : “discutons de la continuité, mais depuis quand”. C’est un sujet important : on a voté des lois d’amnistie pour des crimes de sang, et les gens ont beaucoup de mal à le comprendre. Avec cela, c’est très compliqué d’aller faire comprendre aux gens qu’il y a une légalité républicaine, une continuité républicaine. C’est pour cela que je suis attaché à un certain nombre de principes.

Mon prédécesseur était effectivement présent au moment du processus de remise de l’arsenal d’ETA : il a été sollicité et a répondu présent, avec l’autorité judiciaire. En effet, l’autorité administrative ne pourrait pas aujourd’hui procéder à une opération comme celle qui a été réalisée si elle n’avait pas l’aval des autorités judiciaires. N’oublions pas que derrière chacun des acteurs de cette initiative, il y a quelques éléments qui pourraient être pénalisés. S’il y a eu un ou deux petits incidents, tout s’est fait en collaboration et avec l’aval des autorités judiciaires, à tous les niveaux. Tout le monde se félicite de cela.

Vous parlez de quels incidents ?

Je parle du cas où, faute d’une bonne circulation des informations, un certain nombre de personnes ont pu être inquiétées momentanément lors d’une remise des armes.

Vous parlez des événements de Louhossoa ?

Oui, c’est bien ça. Le désarmement n’a pu se faire qu’avec l’aval des autorités judiciaires qui étaient informées régulièrement. Il y a d’ailleurs quelques autres caches qui apparaissent encore, parce que l’inventaire était sans doute très compliqué, il y en aura sans doute encore. Ce désarmement est une excellente chose, mais une fois de plus, je n’adhère pas pour ma part à ce terme de paix.

Sur le territoire français, dans les années 80, il y a eu les années du GAL, Iparretarrak. Il y a quand même eu un conflit armé au Pays Basque Nord, avec des dizaines de morts, victimes du GAL...

Il n’y a pas eu de conflit armé. Regardez le nombre de tués chaque année à Marseille. Est-ce que vous diriez qu’il y a une guerre à Marseille et qu’on est dans un mouvement vers une paix ? Il y a un conflit organisé par un certain nombre de personnes, avec les revendications et justifications qui sont les leurs. On n’est pas là aujourd’hui pour en juger, mais en tout état de cause, nous avons d’un côté un pays avec une application de la loi et de la légalité républicaine, et de l’autre des personnes au nom de je ne sais quelle cause qui décident à un moment de contester les autorités légitimes.

Le GAL était tout de même des mercenaires envoyés par l’Etat espagnol pour assassiner des réfugiés basques sur le territoire français. Des hauts responsables politiques espagnols ont été condamnés pour cela en Espagne…

C’est un excellent exemple et je vous renvoie la question : est-ce que du fait d’agissements de ce type, vous parlez d’une guerre qui se trouve sur notre sol ?

Il s’agit d’un conflit armé qui a existé. Et des deux côtés, il y a eu des morts.

Dans ce cas-là, il faut définir les parties qui étaient au conflit. Et en particulier répondre à la question : est-ce que la France était partie dans ce conflit ? Je ne sais pas quelle est votre réponse. La mienne est non.

Revenons au désarmement d’ETA. Il s’est produit de manière peu banale, avec la participation de la société civile qui a joué un rôle d’intermédiaire. Cette même société civile fait partie aujourd’hui d’une délégation qui se réunit régulièrement avec la chancellerie pour discuter de la question des prisonniers basques. Que savez-vous de ces discussions ?

Je les suis à distance parce que je ne suis pas concerné directement. Dans les compétences du préfet, il y a des domaines qui nous échappent : la justice, l’administration pénitentiaire. Il reste que l’on est compétent en matière de sécurité et d’ordre public. Ces problèmes-là peuvent avoir d’ailleurs des conséquences en matière d’ordre public. Ce n’est pas un hasard d’ailleurs si les préfets président les commissions de surveillance des prisons ou peuvent être amenés à gérer les conséquences en matière d’ordre public de certains conflits relevant de l’administration pénitentiaire.

Je suis donc ces discussions à distance. Je rappellerai seulement qu’il y a un principe contesté par personne dans notre droit : la prison, qui est le résultat d’une justice qui a été rendue pour certains faits, n’a pas pour but de priver les détenus de contacts avec leurs familles et proches, bien au contraire. L’un des objectifs est d’assurer la continuité de la cellule familiale et de préparer les détenus à reprendre une vie normale ensuite.

Une fois ce principe établi, il y a des exceptions : ce sont les détenus particulièrement signalés (DPS) pour lesquels on estime qu’il peut y avoir un vrai problème à les mettre dans tel ou tel établissement pénitentiaire. Il y aussi le souci d’éviter les concentrations dans certains établissements pénitentiaires, et aussi celui de préserver les continuités des enquêtes notamment quand les personnes ont encore besoin d’être interrogées. Mais le principe est bien celui du rapprochement, et c’est dans ce sens que les discussions s’organisent à l’heure actuelle.

Justement, concernant cette question du rapprochement, 58 détenus sont dispersés dans l’hexagone, dont six à la prison de Lannemezan. L’établissement pénitentiaire de Mont-de-Marsan compte une cinquantaine de places vides et aucun basque. Pourquoi les familles des prisonniers basques sont-elles obligées tous les week-ends de parcourir des milliers de kilomètres, avec tout ce que cela suppose en terme de fatigue, frais, risques d’accidents… ?

Je vous renvoie au principe cité précédemment. Il faut aussi tenir compte des soucis de concentrations trop fortes à l’intérieur d’un établissement. Une fois le principe dit et énoncé, il ne m’appartient pas de me prononcer sur la question de savoir si à Lannemezan ou à Mont-de-Marsan, il pourrait y avoir plus de prisonniers basques. Ça échappe totalement à ma compétence, et donc je ne me prononcerai pas là-dessus.

Est-ce que ces 58 prisonniers représentent pour vous un danger, une menace, sachant qu’ETA n'est plus une organisation armée ?

Je ne me prononcerai pas là-dessus non plus.

Venons-en maintenant à l'institution territoriale du Pays Basque. Les élus du Pays Basque sont majoritairement favorables à une collectivité territoriale à statut particulier. La Corse vient d’obtenir un statut de collectivité territoriale unique, rassemblant les compétences de la Région et du Département. Pourquoi ce qui est possible en Corse ne l’est pas au Pays Basque ?

Tout simplement parce que c’est un choix politique. Cela doit sans doute être considéré comme inopportun. Pour ma part, en tant que préfet du département, je n’hésite pas à considérer que c’est inopportun.

Quand on parle d’égalité des territoires, pourquoi ce qui est possible chez l’un ne l’est pas chez l’autre ?

Savez-vous ce qu’est une collectivité territoriale à statut particulier ? Tout est dans le terme. A un moment donné, le gouvernement analyse la situation de la Nouvelle Calédonie, et décide de son statut ; à un autre moment il analyse la situation des départements d’outre-mer, et décide de leur statut ; il analyse la situation de la Corse, de la métropole lyonnaise et décide ou non d’un statut particulier ; de même pour Mayotte... Cela se passe au cas par cas, ce n’est pas le principe d’égalité. Il s’agit d’examiner chaque situation et en fonction d’orientations politiques et des situations particulières, l'Etat détermine un statut. C’est cela le principe de la collectivité territoriale à statut particulier. En l’espèce, je ne sais pas. Je signale que la Corse était déjà une collectivité territoriale. Le gouvernement a dit une fois non à la Collectivité territoriale à statut particulier. Aujourd’hui, cette question n’est pas sur la table.

Vous n’avez pas répondu à ma question : pourquoi ?

Tout simplement parce qu'il y a un choix politique national. Maintenant si vous me demandez si le préfet des Pyrénées-Atlantiques considère que ça pourrait être une bonne chose, je vous réponds clairement que non.