Chloé REBILLARD

Macron en Corse : non, non et non!

Après près de deux jours de visite en Corse, Emmanuel Macron a répondu aux principales revendications des nationalistes dans un discours à Bastia, mercredi 7 février. Toutes, ou presque, ont été rejetées par le président français. Une déception immense, un an après le discours de Furiani de l’ancien candidat à la présidentielle. 

Samedi dernier, une manifestation a réclamé la démocratie à Ajaccio. @rgaroby
Samedi dernier, une manifestation a réclamé la démocratie à Ajaccio. @rgaroby

Une concession, une seule, dans le discours du président de la République qui clôturait sa visite de deux jours sur l’île de beauté : "je suis favorable à ce que la Corse soit mentionnée dans la Constitution" a déclaré Emmanuel Macron. Cette concession ouvre la voie à un mois de travail avec les élus de l’Assemblée corse. Pas d’enthousiasme du côté des nationalistes, Jean-Guy Talamoni, président de l’assemblée corse, reste prudent :  "il n’a pas fermé la porte à une révision de l’article 74 qui nous paraît le plus adapté à notre situation. Mais les discussions sont-elles vraiment ouvertes, ou s’agit-il de différer d’un mois pour refermer cette porte ? Je dois avoir les deux hypothèses en tête." Et tous les mots comptent : Macron s’est dit "favorable", mais il sait que le vote du texte au printemps lors de la révision constitutionnelle au Parlement français sera très compliquée sur la Corse, car une majorité de parlementaires y serait pour l’instant opposée.

La réforme constitutionnelle a été une goutte d’eau dans l’océan de revendications rejetées : le statut de résident ? "Ce n’est pas la bonne réponse au problème de fond" a affirmé le chef de l’Etat dans son discours. La co-officialité de la langue corse ? "Dans la République française, il y a une langue officielle, le français" a répondu Macron. Et de faire la leçon aux Corses sur les investissements de l’Etat français dans le bilinguisme qui ne donneraient pas des résultats suffisants à ses yeux.  

Autre point des revendications, le renforcement de la fiscalité locale. Sur cette question, le chef de l’Etat s’est adonné à un chantage : si renforcement des formes de fiscalité locale il y avait, il s’accompagnerait de "baisses de dotations parallèles" en provenance de l’Etat français. 

Une occasion historique manquée

La question des prisonniers a aussi fait des vagues ; Emmanuel Macron a fermé la porte à une amnistie dès ses premiers pas sur l’île, et aucune mention n’a été faite du rapprochement des onze prisonniers corses détenus dans les prisons françaises. J-G. Talamoni attend désormais des actes sur cette question : "ce n’est pas un bon signal qu’il ne l’ait pas évoqué. François Hollande s’était engagé à rapprocher trois détenus l’année dernière. Il devrait y avoir une continuité entre les présidents. Or, nous attendons toujours ce rapprochement." 

Tant sur le fond que sur la forme, le président s’est évertué à claquer une à une toutes les portes au nez des nationalistes. Cinq drapeaux français, cinq européens dans le décor planté pour son discours. De drapeau corse, aucun. Autre symbole commenté par les élus corses : contrairement à ses prédécesseurs, Macron n’a pas daigné faire son discours dans l’enceinte du Parlement corse, mais dans un théâtre. Une humiliation supplémentaire. Pour J-G Talamoni, le voyage présidentiel a été "consternant" : "c’est une catastrophe car on a manqué une occasion historique de résoudre la question corse."  

Le président s’est placé dans la pure tradition jacobine de l’Etat français venant faire la leçon à un territoire en difficulté, et annonçant des mesures socio-économiques pour lancer de la poudre de perlimpinpin aux yeux des élus qui avaient des revendications statutaires.

L’exemple catalan 

Mais à force de claquer des portes, il s’agirait de ne pas s’y coincer les doigts. L’exemple de la Catalogne ces derniers mois devrait revenir à la mémoire du chef de l’Etat : plusieurs années après l’annulation partielle du statut catalan par le Partido Popular (2010) et après avoir refusé à de nombreuses reprises de négocier avec les indépendantistes et nationalistes catalans depuis son arrivée au pouvoir en 2011, Mariano Rajoy, premier ministre espagnol, se retrouve dans une position très compliquée. La région est de nouveau tenue par les partis indépendantistes et la "crise catalane" n’en finit pas d’agiter l’Espagne, tandis que son parti, le PP, a subi une défaite sévère aux élections anticipées de décembre. 

Sans pousser la comparaison jusqu’à en faire une prédiction, l’Espagne et la France n’ayant pas les mêmes structures étatiques, la même histoire, ni la même pratique du pouvoir ; il n’en reste pas moins que la poussée du vote vers les indépendantistes catalans s’est jouée notamment sur les humiliations et dénis de démocratie à répétition infligés par l’Etat espagnol. Jean-Guy Talamoni le constate déjà au lendemain du discours de Bastia d’Emmanuel Macron : "ils ont fabriqué beaucoup de nationalistes et d’indépendantistes en quelques heures. En Catalogne, le vote indépendantiste était très minoritaire en 2006, il a fortement augmenté en quelques années face au refus d’appliquer correctement le statut de la Catalogne. C’est, de mon point de vue, le seul bon côté des choses."La visite de Macron, bien loin de calmer les ardeurs, a échaudé les esprits. Et il se pourrait bien que la Corse revienne tourmenter le chef de l’Etat à l'avenir.