Stéphane ETCHEGARAY “Etxe”

Je n'irai pas à Bilbo le 13 janvier prochain...

Stéphane Etchegaray avait été interpellé à Louhossoa le 16 décembre. Une fois entendu par le juge d'instruction, à Paris, il avait regagné le Pays Basque quelques jours plus tard. Ici, à Biarritz. © Isabelle MIQUELESTORENA
Stéphane Etchegaray avait été interpellé à Louhossoa le 16 décembre. Une fois entendu par le juge d'instruction, à Paris, il avait regagné le Pays Basque quelques jours plus tard. Ici, à Biarritz. © Isabelle MIQUELESTORENA

Lundi matin. Déjà une bonne trentaine de minutes que ma compagne est au téléphone. Elle parvient enfin à joindre le centre pénitencier Séville 2. C'est là qu'est incarcéré son père, également grand-père de nos trois enfants. Natif d'Araia près de Gasteiz dans la province basque d'Araba, il purge une peine de 30 ans, dans le quartier d’isolement, pour appartenance à l'ETA. Je ne comprends pas bien ce que se disent en espagnol mon amie et le fonctionnaire pénitentiaire. Mais je remarque qu'encore une fois, c'est la bataille, qu'il y a toujours quelque chose qui ne va pas, avant d'obtenir enfin la confirmation du droit de visite de samedi prochain.

La semaine passe. L'organisation du long voyage à venir est omniprésente. Surtout ne rien oublier, penser à louer la voiture qui servira à Séville, réserver l’hôtel, le pique-nique et autres modalités, retirer 300 euros pour les frais de voyage, etc.

Vendredi midi, heure du départ. Ma compagne a posé sa journée de travail, qu'elle récupèrera ultérieurement. Les enfants, quant à eux, ne sont pas allés à l'ikastola. Leurs camarades leur feront passer différents cours et devoirs...ils devront rattraper le temps eux aussi.

Et les voilà partis pour un long périple de deux jours et demie. Voiture depuis chez nous à Eiheralarre (Saint-Michel) jusqu'à Hendaye, topo jusqu'à Donostia, train jusqu'à Gasteiz où ils s'arrêteront embrasser la famille. Puis, ce bus des familles de prisonniers qui partira à 20 heures et sillonnera toute la péninsule, pour arriver enfin et desservir les différentes prisons d'Andalousie, à l'aube.

C'est d'ailleurs un texto qui me réveille ce samedi matin. “Bien arrivés. La petite a toussé toute la nuit, la grande a eu son allergie mais heureusement j'avais pris les médicaments, le garçon a dormi d'un trait mais m'a pris toute la place dans la couchette... bref, j'ai dormi deux heures, mais tout va bien.” Depuis la capitale andalouse, ils se presseront de rejoindre l’aéroport pour louer une voiture et se rendre à la prison de Moron de la Frontera, située à 90 km de là.

Visite à 10 heures. Papiers, fouille, remise du paquet, embrouille avec un surveillant qui ne reconnaît pas bien un enfant sur la carte d'identité, attente. Puis, le voilà enfin, Aitatxi, tout sourire. Pour les 40 premières minutes, ce sera dans une cabine, séparés par une épaisse et sale paroi de verre. Communication quasi-impossible, les micros ne fonctionnent pas depuis des mois, ce n’est pas faute de l’avoir signalé…. Les deux heures suivantes permettront le contact, dans une pièce confinée. Tellement de choses à se dire, de baisers. Le temps passe vite, c'est déjà l'heure du retour.

Nouveau texto à 13 heures. La visite s'est bien passée, Aitatxi va bien, les petits ont été adorables malgré quelques querelles infantiles à gérer.

Retour pour Séville, restitution de la voiture de location, puis direction le centre commercial pour déjeuner, puis l'hôtel pour se reposer, se doucher et attendre le bus en provenance des prisons d’Algeciras et Puerto Santa-Maria, qui ne les reprendra qu’aux alentours de 23 heures. Nouvelle nuit dans le bus-couchettes.

Il sera déjà dimanche midi quand ils rentreront à Eiheralarre, les yeux à la fois lourds de fatigue et emplis de joie et de soulagement. Ça s'est bien passé, cette fois. Pas de problème majeur, pas d'accident sur la route. 2000 km parcourus pour 2h40 de visite, conséquence de la nauséabonde politique d'éloignement pratiquée depuis si longtemps par Paris et Madrid, et pour combien de temps encore ? Ça suffit !

Et moi, tout ce temps, je suis resté là, spectateur passif et impuissant -souvent maladroit même- de cette situation vécue par des centaines de familles du Pays Basque depuis des décennies.

Car comme beaucoup d'autres militants inculpés dans une affaire politique basque (dans mon cas l'opération de Louhossoa en décembre 2016), je suis sous contrôle judiciaire avec interdiction de sortie du territoire français.

Alors non, je ne serai pas non plus à Bilbo le 13 janvier prochain pour clamer le retour de nos proches à la maison. La mère de mes enfants sera encore une fois du voyage, c'est important que vous y soyez vous aussi.

C'est par tous ces pas foulés, par la participation de l'ensemble de la société, que nous sortirons de cette situation d'exception et que nous obtiendrons le respect de nos droits.

Comme le dit le slogan de cette année, ensemble nous irons de l'avant.

Ensemble, nous remplirons les rues de Bilbo pour un jour vider les prisons et accueillir nos prisonniers, exilés et déportés, à la maison.

En attendant, la semaine a repris, la fatigue et le stress des miens peinent à s'estomper.

Et il faut déjà penser à l'organisation du prochain voyage à Séville...