Rébillard, Chloé

Un départ dans les larmes et les applaudissements pour les migrants de Bayonne

Vingt-et-un migrants du Centre d’Accueil et d’Orientation (CAO) ont été transférés à Pau en vue d’une possible reconduite en Italie, premier pays européen sur lequel ils ont posé le pied. Plusieurs centaines de personnes s’étaient réunies pour leur départ, à la gare de Bayonne, ce mardi 19 décembre. 

Les migrants ont été accompagnés jusqu'à leur montée dans le train par les nombreuses personnes venues en soutien. © isabelle Miquelestorena
Les migrants ont été accompagnés jusqu'à leur montée dans le train par les nombreuses personnes venues en soutien. © isabelle Miquelestorena

Sous un soleil sans nuage, les visages en pleurs étaient nombreux ce matin à la gare de Bayonne. Vingt-et-un migrants, sur les vingt-cinq que compte le CAO, prenaient le train pour Pau.

Ils ont transité par l’Italie à leur arrivée en Europe, leurs empreintes ont été enregistrées là-bas. Ils sont donc "dublinés", c’est-à-dire qu’en vertu du règlement de Dublin, ils doivent déposer leur demande d’asile dans le premier pays européen par lequel ils sont passés. Mais l’Italie, pays en première ligne pour l’accueil des migrants, se dit incapable de gérer tous les dossiers. Elle expulse vers la Libye où les traitements inhumains que subissent les migrants ont été récemment dénoncés.

Pour éviter à ces migrants d’être renvoyés vers un sort incertain, les nombreux bénévoles et structures qui les ont pris en charge à leur arrivée en septembre, au CAO de Bayonne, ont bien l’intention de se battre. Ils mèneront un combat juridique pour empêcher ce qu’ils considèrent comme une expulsion. Amaia Fontang, du collectif Etorkinekin rappelle que "la bataille ne fait que commencer". Et insiste : "La situation est indigne en Italie, et ils risquent l’expulsion vers la Libye où on sait très bien ce qu’il s’y passe."

Dans un premier temps, ils seront assignés à résidence au Prahda de Pau dans l’attente d’un possible transfert vers l’Italie, qu’ils refusent. Les autorités françaises ont six mois pour l’effectuer. En ce mardi 19 décembre midi, le rassemblement à la gare de Bayonne avait pour objectif de les soutenir dans leur départ vers la cité paloise. Les bénévoles et les soutiens étaient venus nombreux pour exprimer leur solidarité et contester la politique française en matière de refoulement des migrants. Et l’hommage a été chargé d’émotions.

Le train retardé

Accueillis sous les applaudissements à leur arrivée en gare de Bayonne, les migrants ont été touchés par les démonstrations de solidarité de la foule. Certains n’ont pas pu retenir leurs larmes, à l’instar de bénévoles qui oeuvrent à leurs côtés depuis le début et qui ont noué des liens avec eux. L’un des vingt-et-un a pris la parole sur le quai de la gare, traduit par un interprète : "Aujourd’hui, on a senti qu’on était juste des humains. Bayonne restera dans notre âme et dans notre conscience jusqu’à la fin de nos jours. On perd les mots, remplacés par les larmes. Un oeil pleure de fierté et de nos joies partagées. L’autre oeil pleure pour notre séparation. Aujourd’hui, on a pas autre chose à dire sauf merci, merci."     

Les voies de la gare de Bayonne ont été envahies par les soutiens retardant le train dans lequel les migrants sont montés. Le son des applaudissements, des sifflets et des slogans "ongi etorri errefuxiatuak" ont résonné sous la verrière. 

Le rassemblement de solidarité s’est ensuite transformé en manifestation vers la sous-préfecture afin de protester contre la politique d’expulsion menée par le gouvernement français. Car au-delà des vingt-un migrants d’aujourd’hui, c’est le sort de tous ceux qui sont sur le territoire hexagonal qui est en balance.

La lutte ne s'arrête pas là

Chantal Pochat, membre de la Cimade, témoigne que cet au revoir ne signe en rien la fin de la lutte pour l’accueil des réfugiés. "J’ai reçu hier un jeune soudanais de 14 ans. Son père est mort, sa soeur a été violée sous ses yeux. Il est passé par la Libye puis a remonté toute l’Italie, seul. Il a pris le premier train qu’il trouvait et il est arrivé à Bayonne. Hier, quand je l’ai reçu, il ne voulait même pas s’asseoir. C’était un bloc, il était complètement pétrifié. Mon petit-fils de 13 ans ne vient pas à Bayonne tout seul. Lui, il a 14 ans. C’est un enfant et il a déjà traversé un véritable périple en risquant sa vie." 

Joëlle Ustaritz tenait elle une pancarte sur laquelle était inscrit : "Solidarité aussi avec les réfugiés LGBT." Elle explique : "Pour les personnes homosexuelles, c’est la double peine, car elles peuvent être rejetées au sein de leur communauté et elles manquent souvent de visibilité." La militante a déjà dû soutenir des personnes dans cette situation. "En 2015, au centre de rétention d’Hendaye, il y avait une lesbienne originaire du Nigeria. Au nord du Nigeria, dans les régions contrôlées par Boko Haram, c’est la peine de mort. Au sud, elle risquait cinq ans d’emprisonnement."

De nouveaux demandeurs d'asile

Suite à ce départ, de nouveaux demandeurs d'asile seront accueillis dès demain, au CAO de Bayonne. En provenance de Pau, une vingtaine de personnes, de nationalités diverses - soudanaise, érythréenne, afghanne, somalienne - viendront rejoindre les quatre réfugiés qui sont restés. Les nouveaux arrivants ne sont eux pas dublinés et peuvent déposer une demande d'asile auprès de la France.

Pantxika Ibarboure, directrice adjointe d'Atherbea, se prépare à les accueillir : "Nous ne savons pas encore où ils en sont dans la procédure d'asile. Quoiqu'il en soit, nous les accompagnerons dans leurs démarches au moins jusqu'à la fermeture du CAO, prévue pour le 31 mars."