Bénédicte Saint-André

Taisez ce chant que je ne saurais entendre

Obéissons à l'Ordre et cessons d'être monomaniaque à l'endroit d'un seul monothéisme. Ouvrons le champ que diable et détournons-nous de la brûlante actualité. Un documentaire diffusé dans le cadre du 5ème festival des droits de l'Homme à Mauléon, Saint-Palais et Biarritz, nous invite à aller voir ailleurs si l'extrémisme y est. 

Sara Najafi © DR
Sara Najafi © DR

No Land's Song se passe en Iran. Là-bas, les femmes n'ont évidemment pas le droit à l'IVG, mais depuis la révolution de 1979, elles n'ont pas non plus le droit de chanter. Ce n'est pas seulement interdit au moins de 18 ans, c'est interdit tout court, à partir du moment où il y a un public mixte.

Et pourtant Sara Najafi, une brebis galeuse et jeune compositrice iranienne, décide de défier la censure et d'organiser un concert officiel de chanteuses solistes. Elle invite même les artistes françaises Elise Caron, Jeanne Cherhal et Emel Mathlouti à participer au projet. Seigneur quelle aventure !

L'imam qu'elle interroge lui explique pourtant très clairement les raisons d'une telle interdiction : "Vous prenez une femme ordinaire. Le chant lui ajoute une aura qui produit inévitablement chez l'homme une excitation sexuelle. Or cela est interdit par la charia, tout simplement. Par contre les femmes peuvent évidemment s'exprimer en public, pour faire les courses par exemple. C'est seulement la voix chantée qui donne du plaisir".

Et là on ne sait pas trop si elle est naïve ou un peu idiote, elle lui demande : "Pourquoi alors les hommes ont-ils le droit de chanter devant des femmes ?". " Ça n'a rien à voir ", il lui répond, levant les yeux au Ciel devant tant de paresse intellectuelle. Si vous la voyiez, elle reste sans voix la chanteuse avec son hijab qui la démange. Un peu plus, elle déchanterait.

Néanmoins, après moult démarches administratives, le ministère de la Culture et de la Guidance islamique finit par accepter le projet aux conditions que les artistes ne dansent ni ne bougent et restent voilées. "Que se passerait-il si je faisais ce que je veux ?", interroge-t-elle, comme décidément résolue à poser des problèmes. "Je ne vous le conseille pas", répond le responsable du ministère. Et elle le plante là avec une flamme dans les yeux pas du tout charia-compatible. Le problème avec le hijab, c'est qu'il ne voile pas le regard.

En juin 2013, Hassan Rohani le modéré arrive au pouvoir. Elle est heureuse si vous saviez. Et pourtant, la veille du concert, sous la pression de groupes d'extrême droite, il décide de maintenir la manifestation mais sans public. Les modérés que voulez-vous aiment le consensus. Et là c'est l'explosion, elle craque et dans un sanglot s'excuse "pour tout" auprès des chanteuses françaises qui ont fait le déplacement.

"Tout ça pour ça" se dit-on, persuadé qu'on va en rester là tant les Iraniens depuis longtemps ont un problème avec les happy-end. Et bien figurez-vous qu'ayant repris son souffle, la mécréante se pointe au ministère et lance avec une insolence trop peu dissimulée : "On annule tout, vous en assumerez les conséquences". Et là, pincez-vous, les représentants du pouvoir suprême plient devant ce mètre cinquante d'insoumission. On aura tout vu et tout entendu surtout.

Enfin, à vrai dire, on les aura surtout vues et entendues elles, ces sublimes chanteuses iraniennes. Et ce malgré "l'obligation légale de deux musiciens hommes". J'aimerais tant vous parler de ces femmes dont la voix suffit à transcender l'immobilité contrainte du corps. J'aimerais tellement vous décrire leur beauté, leur organe puissant et sensuel, leur présence exceptionnelle. J'aimerais vous révéler la communion avec leur public mixte et debout, groggy par la beauté d'une œuvre enfin ressuscitée. J'aimerais vous dépeindre l'état de grâce qui les étreint alors. Mais j'aurais trop peur d'exciter les extrémismes. D'ici et d'ailleurs.