Willy Roux

François Périgné : “C'est le devoir des politiques d'assurer la sécurité alimentaire car c'est vital”

Jeudi matin, au cinéma Variétés d'Hendaye, François Périgné, membre du secrétariat national de la Confédération paysanne et mytiliculteur sur l'île d'Oléron (Charente-Maritime) a participé à une conférence sur le thème de l’agroécologie paysanne face à la crise écologique, sociale et l'insécurité alimentaire. Il a ensuite répondu aux questions de MEDIABASK.

François Périgné est membre du secrétariat national de la Confédération paysanne et mytiliculteur sur l'île d'Oléron. © Foku/Jon Urbe.
François Périgné est membre du secrétariat national de la Confédération paysanne et mytiliculteur sur l'île d'Oléron. © Foku/Jon Urbe.

L'agriculture bio est-elle un moyen pour sauver notre planète et régler la crise alimentaire ?

François Périgné : En ce moment, nous sommes un peu en désaccord sur le développement du bio. Par exemple, 1 400 hectares en bio, ça nous pose un souci éthique. Production de masse et bio ne vont pas ensemble. Nous craignons une industrialisation du bio. Nous avons quitté, avec la Fnab (Fédération nationale d'agriculture biologique), l'inter-profession des fruits et légumes par rapport à l'autorisation des serres chauffées. Le bio et le règlement bio est en train de s'éloigner de plus en plus du lien à la terre qui est la base éthique même du bio. Il y a la question de la taille de l'exploitation, de la main d’œuvre et une question de saisonnalité. Trouver des tomates bio en février, ça n'a pas de sens.

Les circuits courts, est-ce aussi une solution ?

F.P : Le circuit court, ce n'est pas si facile que ça. En ce moment, on observe beaucoup d'installations en maraîchage bio sur de petites structures. Mais quand tu es en circuit court tu n'es plus qu'un simple paysan. Tu es paysan pour produire la nourriture puis selon ce que tu fais tu es transformateur. Ensuite, tu es commerçant car il faut préparer la livraison à la boutique ou ton marché. Enfin, il faut que tu sois gérant d’entreprise car le poids administratif d'une ferme aujourd'hui, c'est un tiers de ton temps. Quel temps reste-t-il pour la famille et le militantisme ?

L'un des problèmes majeurs évoqués lors de la conférence de ce matin est le problème de l'eau …

F.P : Le nœud, c'est l'eau. La part de la consommation d'eau sur la planète par l'agriculture c'est 70%. Un morceau de viande, c'est 70% d'eau, les fruits et légumes entre 80 et 90 % d'eau. On consomme 70% d'eau dans notre alimentation. Aux assises de l'eau, j'ai insisté sur le fait que c'est un aliment. Un aliment particulier car c'est un vecteur des produits phytosanitaires que nous utilisons dans les terres, voire un vecteur de maladie dans certaines parties du globe. Nous voyons bien que toutes les perspectives décrites par le Giec [Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, ndrl.], on les explose d'une année sur l'autre. C'est inquiétant.

Lors de la conférence, vous avez parlé des bonnes intentions du président Macron après les Etats généraux de l'alimentation mais vous avez fustigé une loi sur l'alimentation vide de sens…

F.P : Dans cette loi, l'Etat se désengage totalement de toute action de régulation. Dans la loi, il y a un volet sur le fait que le paysan puisse sortir un revenu. Et l'Etat se désengage en confiant à l’interprofession le droit de fixer le prix de revient. Et là, il y a le producteur qui ne pèse presque rien, l'industrie agroalimentaire et derrière la grande distribution. Nous sommes tout petits face à des monstres donc nous ne pouvons rien négocier du tout.

Vous avez soutenu que “l'agriculture en France est en train de profondément se modifier et dans le bon sens”. Pouvez-vous expliquer votre pensée ?

F.P : Il y a plus d'installation aujourd'hui dans l'agriculture qui émane de gens qui sont hors cadre familial. Du coup, il y a un apport de l'extérieur soit de jeunes qui découvrent soit de gens qui ont déjà eu un métier avant en zone urbaine. Ces gens-là ont un acquis et savent ce qu'ils veulent et ils s'installent sur des modèles alternatifs. Tout le souci réside dans le fait de bien les accompagner une fois qu'ils sont installés car les formations qui servent à pérenniser les exploitations sont menacées de suppression.

Dans l'actualité, on parle beaucoup aujourd'hui de Daniel Cueff, maire de Langouët (Ille-et-Vilaine) qui a pris un arrêté interdisant l'usage des pesticides à proximité des habitations. L'Etat juge sa décision illégale et le poursuit en justice. Daniel Cueff a-t-il bien fait ?

F.P : Les maires sont un levier. Il a raison de vouloir appliquer le programme sur lequel il a été élu. Sur les pesticides, ce qui est proposé par l'Etat c'est de l'enfumage. C'est du verdissement. C'est un peu comme le maire d'Oléron qui a été obligé par le tribunal administratif de Bordeaux à signer le permis de construire d'un Mc Donald's alors qu'il a été élu sur un programme contre l'implantation de ce fast-food.

Vous avez aussi évoqué une idée très novatrice de votre confédération de la mise en place d'une Sécurité sociale alimentaire. Pouvez-vous détailler ce projet ?

F.P : A une époque où la situation économique est catastrophique, en quelques mois, on a créé la Sécu alors pourquoi pas créer une sécurité sociale alimentaire pour tous. On imagine ce dispositif tout à fait lié avec la carte vitale que l'on pourrait créditer de 150 euros, soit le panier moyen d'un français. Cette mesure permettrait aux Français de consommer mieux. Cette mesure coûterait seulement 120 milliards d'euros. Ça peut paraître énorme comme chiffre mais cela représente un tiers des flux financiers exemptés de toutes taxes. C'est atteignable mais c'est juste un choix politique. C'est dans les devoirs des politiques d'assurer la sécurité alimentaire car c'est quelque chose de vital.