K. CHILIBOLOST et M. UBIRIA

Entrés dans un tunnel il y a 30 ans, ils veulent voir la lumière du jour

C’est le portrait de trois générations qui vivent la prison au quotidien. Kattin l’a connu en 1990 quand Frederik Haranburu, le père de ses enfants, y a été incarcéré. Ses petits fils espèrent que leur grand-père en sortira bientôt.

Ekain, Joana, Kattin et Gexan Haranburu, réunis à Saint-Pée-sur-Nivelle. © Bob EDME
Ekain, Joana, Kattin et Gexan Haranburu, réunis à Saint-Pée-sur-Nivelle. © Bob EDME

C’est le vendredi des fêtes à Saint-Pée-sur-Nivelle. Kattin, Joana, Gexan et Ekain Haranburu sont réunis pour une interview. Il est question de Xistor Haranburu, Senpertar, membre de la petite famille ici réunie. Elle attend la réponse de la seconde demande de libération conditionnelle qui doit être rendue ce vendredi 5 juillet.

Joana n’avait que huit ans et demi en 1990, quand son père, Xistor, a été arrêté. Elle en a aujourd’hui 38. Lorsqu’elle était petite, Kattin, sa mère, l’amenait à Paris, à Arles, ou à Rennes. Celle-ci s’en souvient bien. “Je travaillais, je conduisais, j’amenais Amatxi aussi, les enfants étaient petits, il fallait tout faire. C’était difficile. Au final, j’ai eu une maladie, je ne pouvais plus suivre”, raconte-elle. Aujourd’hui, Xistor est à la prison de Lannemezan, avec d’autres prisonniers basques. “Heureusement ils l’ont rapproché. C’est plus facile maintenant, explique Kattin, surtout pour le moral et pour les kilomètres”.

Ekain a connu son grand-père à Lannemezan. Il raconte aussi ses premières visites. Elles remontent à quand il était “dans le ventre de [sa] mère”. Maintenant, Ekain a 9 ans. Le regard vif, ses mots échappent à l’innocence. “J’essayais toujours de prendre les clés aux policiers pour essayer de libérer aitatxi. Maintenant, je fais attention parce qu’ils n’aiment pas trop cela. Je suis content d’aller le voir. Mais j’aime pas me lever tôt pour faire la route. Là bas, je joue à des jeux avec Aitatxi, mais pas aux jeux vidéo ou électroniques parce que c’est interdit.”

“Tellement d’années sont passées”, remarque sa mère. On a connu des changements”. En cette soirée de fêtes de village, elle se rappelle notamment du soutien montré à Xistor. “Avant, on faisait des rassemblements, des repas de soutien…” Cette année, rien n’est prévu. Joana remarque que lorsque les prisonniers sont jeunes, les soutiens sont plus présents que pour ceux qui sont entrés en prison à un âge avancé. Pour eux, “tout est différent” : les proches vieillissent en même temps que les détenus. Les amis de jeunesse s’éparpillent avec le temps.

Pour la famille en revanche, c’est devenu un quotidien. “Cela fait 20 ans que mon père se trouve à Lannemezan. La prison fait partie de la vie de tous les jours. Pour lui comme pour nous. Tout le monde nous connaît,” remarque Joana. “Même le directeur de la prison de Lannemezan s’est montré favorable à la libération conditionelle de Xistor”, rappelle sa mère, Kattin. A son tour, Ekain raconte la prison et les échanges avec son grand-père. “Il me dit qu’il veut faire beaucoup de choses, du surf, des cabanes dans les bois…” Fier, il veut lui transmettre un bertsu. Car tout comme lui, son grand-père en est amateur.

L’absence de date de sortie

“Ekain aimerait beaucoup que son grand-père sorte ce 5 juillet, mais je lui explique, qu’il n’y a pas de date”, explique leur mère. “Il pourrait sortir en 2020, ou en 2030... On ne peut pas le savoir.” Pour Xistor comme pour la famille, l’absence de date de sortie rend la situation particulièrement pesante. La famille ne peut rien projeter, préparer ni prévoir. “Pour quand ?”, demande encore Joana. Or, ce temps de préparation est nécessaire, ne serait-ce que psychologiquement. Car en 30 ans, le monde autour a changé, les années passent et le temps presse.

D’après la fille de Xistor : “maintenant, la France doit décider entre une condamnation à mort – car à 65 ans avec 30 ans en prison sans perspective de sortie, au bout d’un moment, c’est de cela qu’il s’agit, – et la libération conditionnelle”. L’image qu’elle évoque est sans équivoque : “Il y a 30 ans nous sommes entrés dans un tunnel. Pour le moment on n’en voit pas la fin, parce qu’on n’aperçoit aucune lumière qui indique la sortie”. Vendredi, la décision concernant la libération sera un indicateur du chemin qui reste à tracer.