Anaiz Aguirre Olhagaray

“Soit on subit le déclin de notre modèle, soit on invente la société post-carbone”

Ingénieur de formation, militant du mouvement pour le climat, Charles-Adrien Louis (alias “Cal”) est co-gérant du cabinet d’étude B&L Evolution. Il est le co-auteur du rapport “Comment s’aligner sur une trajectoire compatible avec les 1,5°C ?”, qui passe en revue l’ensemble des secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre et propose des mesures concrètes pour les réduire.

Charles-Adrien Louis est militant d'Alternatiba, ANV-COP21 et Avenir Climatique.
Charles-Adrien Louis est militant d'Alternatiba, ANV-COP21 et Avenir Climatique.

L’étude de B&L Evolution fait écho au rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) publié le 8 octobre 2018, et qui recommande aux Etats de maintenir le réchauffement climatique sous la barre des 1,5°C.

Qu’est-ce qui vous a poussé à réaliser ce document ?

On s’est rendu compte que dans le rapport du GIEC, on a de grands chiffres, des objectifs, on nous dit qu’il faut mettre en place des mesures drastiques et ambitieuses, mais on ne sait pas comment on construit la route pour y aller. On a voulu rendre cela plus concret, en prenant l’exemple de l’État français et en réfléchissant, secteur par secteur, comment être compatible avec les recommandations du GIEC, c’est-à-dire comment diminuer de manière importante nos émissions de gaz à effet de serre (GES). On a regardé sur le secteur résidentiel ce qu’il faudrait faire, mais aussi sur le transport, sur l’agriculture, et sur les biens de consommation. On a estimé qu’il faudrait réduire nos émissions de GES de 63 % en 2030 par rapport à aujourd’hui.

Il faut agir vite ?

C’est la complexité de la chose. Chaque mesure prise indépendamment peut être considérée comme faisable mais ce qui compte est de toutes les faire en même temps. Si on attend cinq ans pour commencer à agir, on ne sera pas en train de limiter le réchauffement à 1,5°C, mais plutôt à 2°C.

Entre un réchauffement d’1,5°C et de 2°C, la différence est-elle si grande ?

Le rapport spécial du GIEC démontre bien comment ce demi-degré de plus entraîne tout un lot de phénomènes météo supplémentaires, d’inégalités qui vont s’accroître, car de plus en plus de personnes auront les pieds dans l’eau, devront se déplacer… Je trouve qu’il y a deux messages importants qui ressortent de ce rapport. Le premier c’est que chaque dixième de degré compte, Quoi qu’il arrive, il faut qu’on fasse des efforts du mieux possible, mais il ne faut pas se dire que soit c’est gagné, soit c’est foutu. Le GIEC nous avertit aussi qu’on a tout intérêt à se rapprocher le mieux possible de 1,5°C, parce que derrière, les conditions d’adaptation vont être extrêmement difficiles et vont créer plus d’inégalités. Il faut trouver le juste compromis entre l’urgence du changement climatique et la nécessité de faire quelque chose qui soit acceptable par tout le monde, sans rentrer dans une sorte de dictature verte qui, dans tous les cas, ne serait pas bénéfique.

D’après vous, l’État français pourrait-il faire figure d’exemple ?

Les émissions de gaz à effet de serre sont un problème mondial. En fait, c’est la première fois qu’on est confronté à un tel problème. Quels que soient les agissements des uns, ils dépendent aussi des agissements des autres. On ne peut donc pas se dire qu’on va limiter nos émissions de CO2 en France, si tous les pays ne font pas de même. Il faut des “premiers de cordée”, et la France a ce rôle à jouer. Dans tous les cas, on est parmi ceux qui ont le plus à perdre d’une transition énergétique ratée. On voit bien aujourd’hui qu’on est dans un modèle qui est en train de s’effriter, de s’épuiser. Soit on va subir une sorte de déclin de notre modèle, soit on choisit d’être précurseur d’un nouveau modèle de société post-carbone.

Vous proposez un certain nombre de mesures drastiques, notamment sur les trajets aériens.

Ce qui nous semble le plus cohérent, c’est lorsque les personnes sont en train de se construire, de se chercher, de comprendre comment évolue le monde. C’est peut-être à ce moment-là qu’il est le plus utile de se déplacer en avion. On propose donc d’autoriser deux déplacements en avion aux personnes entre 18 et 30 ans, et par contre, de supprimer et dire définitivement aux gens qu’après 30 ans, ils n’auront plus le droit de prendre l’avion. Mais il y a des personnes qui doivent se déplacer pour des raisons qui peuvent se justifier : les diplomates, le président de la République... mais aussi les ressortissants français qui habitent à la Réunion, en Guyane ou en Guadeloupe.

Peu de gens dans le monde ont déjà pris l’avion.

Quand on regarde les chiffres, il n’y a qu’un milliard d’individus sur Terre qui a pris une fois dans sa vie l’avion, ce qui signifie que 6,5 milliards de personnes n’ont jamais pris l’avion. Même en France, plus d’un habitant sur deux ne prend pas l’avion chaque année, ni même tous les deux ou trois ans.

En gros, il faut repenser notre façon de voyager ?

L’avion est un des modes de transport. Ne plus le prendre ne veut pas dire qu’on ne peut pas visiter le monde. Simplement, il faut peut-être repenser le temps du voyage, et ne pas juste consommer des déplacements pour partir dans une autre capitale d’un autre pays, mais prendre le temps d’y aller de manière plus tranquille.

Et les vols internes ?

Parfois, il y a une raison de prix : le billet d’avion coûte moins cher que le train, ce qui est aberrant mais qui est lié à l’absence de taxes sur le kérosène. Mais souvent, c’est une histoire de confort. Pour nous, ce n’est pas justifié de garder l’avion quand on a une alternative qui dure moins de quatre heures.

Que pensez-vous du G7 qui va se tenir à Biarritz au mois d’août ?

Pour moi, le seul intérêt est diplomatique, que tout le monde reste dans la même ligne. Pour nous, tant qu’il y a l’Organisation mondiale du commerce qui est déterminante, qu’on n’a pas d’Organisation mondiale de l’environnement qui puisse avoir un poids supérieur, on n’arrivera pas à rester en dessous des 2°C. Je ne crois absolument pas que le G7 ou l’Accord de Paris fasse bouger les choses. C’est vraiment ce que l’on peut faire au quotidien sur les territoires, avec les entreprises, par toutes les décisions politiques locales et les engagements de chacun, qu’on va pouvoir changer les choses. Il faut repenser profondément notre système, accepter de faire une sorte de saut dans l’inconnu et inventer la société post-carbone.

 

Pour télécharger l’étude de B&L Evolution, suivre ce lien.

Infographie synthétisant les différentes mesures proposées dans l’étude de B&L Evolution :