AINHOA AIZPURU

Vatican : un sommet inédit durant une période orageuse pour l'Eglise basque

Démarré jeudi jusqu’à ce dimanche 24 février, le Vatican accueille un sommet inédit consacré à la lutte contre la pédocriminalité. Un événement qui survient alors que les tempêtes font rage depuis des mois sur l’Eglise et notamment de l’autre côté de la Bidassoa.

A Bilbo, des centaines de personnes ont manifesté contre les abus sexuels dans l'école des Salésiens. (Luis JAUREGIALTZO/FOKU)
A Bilbo, des centaines de personnes ont manifesté contre les abus sexuels dans l'école des Salésiens. (Luis JAUREGIALTZO/FOKU)

Ce jeudi s’est ouvert à Rome, un sommet inédit pour lutter contre la pédophilie. Depuis plus de 30 ans, l’Eglise catholique fait face à de nombreux scandales d’abus sexuels. Ces derniers mois, plusieurs cas ont éclaté au grand jour dans la Communauté autonome basque provoquant une grande indignation.

Plus de 200 responsables se retrouvent actuellement pour ce que le Vatican présente comme un travail éducatif pour une meilleure prise de conscience. Les présidents d’une centaine de conférences épiscopales ont auparavant rencontré, à la demande du pape, des victimes de prêtres pédophiles dont certaines seront présentes durant cette rencontre inédite. Depuis les années 2000, l’Eglise est en effet empêtrée dans un scandale mondial. Il semblerait cependant que le Vatican ait enfin décidé de montrer un signal fort en désignant la lutte contre la pédophilie dans l’Eglise comme l’une de ses priorités absolues.

Cette prise de conscience de l’église catholique sur le sujet des abus sexuels concerne également la Communauté autonome basque. Même s’il n’y a pas de statistiques officielles, les sources judiciaires et les polices confirment officieusement l’augmentation des plaintes pour abus sexuels touchant des religieux. Comme héritage du national-catholicisme franquiste mais aussi du caractère ouvertement confessionnel du premier nationalisme basque, la place symbolique du catholicisme est encore forte. Si la pratique religieuse catholique a énormément baissé au sud de la Bidassoa et se réduit la plupart du temps à des personnes âgées, l’Église conserve une place importante dans la société à travers des centres scolaires ou encore des colonies de vacances. Ces derniers mois, le Pays Basque Sud a été ébranlé par plusieurs cas à forte résonance médiatique.

Salésiens de Deusto : un quartier révolté

L’école des Salésiens de Deusto, à Bilbo, est à l’épicentre du dernier de ces scandales. Depuis plusieurs mois, la Ertzaintza (police basque) a reçu plus de 25 plaintes pour abus sexuels contre José Miguel San Martín, connu comme Don Chemi. Les juges sont en train de recevoir les plaintes, et certaines sources estiment qu’il pourrait y avoir jusqu’à 150 cas potentiels. Les faits dénoncés se seraient produits entre 1975 et 1990, avant que Don Chemi quitte le centre scolaire. D’après les plaintes déposées, les abus sexuels seraient généralisés et concerneraient trois autres prêtres, dont un ancien proviseur.

A mesure que les langues se sont déliées, l’indignation est montée à Bilbo et une manifestation a même eu lieu face à l’école début février 2019. Les anciens élèves se sont organisés pour tenter que le plus grand nombre de cas refassent surface. Face au scandale retentissant, l’école des Salésiens a émis un communiqué de presse avec des excuses, reconnaissant avoir eu connaissance d’abus à partir de 1989.

Gaztelueta : l’impunité de l’Opus Dei

Le cas le plus médiatique a sans doute été celui des abus sexuels vécus par un ancien élève de l’école Gaztelueta, un centre scolaire de l’Opus Dei exclusivement masculin, situé à Leioa dans la périphérie de Bilbo. Après plusieurs années de bataille judiciaire, l’Audience provinciale de Bizkaia a condamné un professeur à une peine de onze ans de prison pour abus sexuels sur un élève qui avait 10 ans à l’époque. Le condamné a fait appel au tribunal suprême espagnol.

Au-delà de la chronique du procès, ce qui a extrêmement choqué dans ce cas est l’attitude de l’école et de l’Opus Dei. La direction de l’école défend bec et ongles l’innocence de l’enseignant incriminé. En octobre 2018, à l’issue de la première condamnation, ils ont même convoqué une conférence de presse pour défendre l’accusé. Ils y ont violemment remis en cause la véracité du témoignage de la victime et ont assumé avoir payé la défense du professeur condamné. Le proviseur a même autorisé l’entrée des caméras de télévision dans les locaux de l’école pour tenter de montrer que le témoignage de la victime était faux.

Juan Cuatrecasas, père de la victime, est devenu un symbole de la lutte contre les abus sexuels. Il a annoncé qu’il se rendrait à Rome avec d’autres victimes pour remettre ses revendications aux autorités ecclésiastiques. En plus des abus sexuels, il dénonce avec virulence la double victimisation des mineurs abusés comme son fils, alors que les autorités de l’Église ne les ont pas cru et ont voulu miner leur crédibilité.

Des cas pas toujours étouffés

Heureusement, la hiérarchie de l’Église n’a pas toujours cherché à étouffer les cas d’abus sexuels. En décembre 2018, l’évêché de Bilbo a porté plainte contre Egoitz Arruza, un prêtre d’Uribe Costa, pour abus sexuels contre trois jeunes femmes dont une mineure. Les attouchements auraient eu lieu entre 2015 et 2017. Arruza et les victimes sont membres de Euskal Herriko Eskautak, la fédération catholique de scouts basques. En plus de la plainte, le prêtre incriminé a depuis été écarté de ses fonctions.

Ces cas à forte résonance médiatique ne sont pas les seuls qui se soient produits dans la Communauté autonome basque. En 2018, Juan Kruz Mendizabal, vicaire du diocèse de Donostia et très connu dans la capitale du Gipuzkoa, a reconnu avoir commis des abus sexuels contre deux mineurs. Les structures internes de l’Église l’ont condamné à une réclusion spirituelle loin du Pays Basque. La paroisse de Los Ángeles de Gasteiz a aussi connu un cas d’abus sexuels remontant à 1983. En 2010, la victime a dénoncé à l’évêché de Gasteiz avoir subi des abus de la part d’un moine dominicain. Or, l’Église a gardé silence jusqu’en 2014, lorsque les médias se sont emparés de l’affaire. On a ainsi appris que l’évêché n’avait pas ouvert d’enquête, en plus de remettre en question la crédibilité des victimes. 

La problématique des prescriptions

Dans de nombreux cas, dont celui des Salésiens de Bilbo, les faits sont tellement anciens que les délits qui auraient été commis sont prescrits. "La législation espagnole prévoit un délai de prescription de 30 ans, et nous souhaitons qu’il soit ramené à 50 ans " signale Juan Cuatrecasas, le père de la victime de Gaztelueta. "De nombreuses victimes n’osent pas parler jusqu’au moment où elles voient que d’autres parlent aussi. Mais alors, c’est souvent trop tard. Dans le droit anglo-saxon, il y a une tendance vers l’imprescriptibilité. Certains états des Etats-Unis l’appliquent déjà". Une proposition de loi visant à modifier le code pénal dans ce sens a bien été enregistrée au Parlement espagnol. Cependant, la convocation des élections a paralysé le parcours parlementaire. Les victimes et leurs familles ne désespèrent pourtant pas.