Béatrice MOLLE-HARAN

Un procès politique dans l’Europe du XXIe siècle

Béatrice Molle-Haran. © Sylvain SENCRISTO
Béatrice Molle-Haran. © Sylvain SENCRISTO

Rébellion, sédition, désobéissance à l’autorité, malversation de fonds publics. Autant de chefs d’accusations éminemment politiques lancés envers les douze politiques et responsables d’associations civiles catalans, comparaissant depuis mardi devant le Tribunal suprême à Madrid. Neuf d’entre eux sont emprisonnés depuis plus d’une année pour avoir organisé de manière pacifique le 1er octobre 2017 un referendum d’autodétermination, suivi d’une déclaration unilatérale d’indépendance le 27 octobre 2017. Un processus que les responsables catalans avaient promis de mettre en place pendant leur campagne électorale régionale en 2015, après des élections victorieuses pour les indépendantistes, et un sérieux revers pour les partis centralistes espagnols.

La question aujourd’hui n’est pas de savoir si l’on est pour ou contre la revendication d’indépendance portée par une majorité de catalans, la question est de savoir si la Justice pénale et les incarcérations dans ce genre d’affaire doivent se substituer à la politique et à la négociation. Rappelons la décision du tribunal constitutionnel espagnol, en 2010, de rejeter plusieurs articles clés de l’Estatut catalan concernant notamment la fiscalité, statut négocié sous la présidence du socialiste Zapatero, adopté par le congrès des députés en 2006 puis, la même année, par référendum en Catalogne. C’est le Parti populaire de Rajoy qui avait obtenu l’annulation de ces articles. Un triste épisode faisant fi de la volonté démocratique exprimée par les urnes, ayant comme effet une adhésion de plus en plus forte des Catalans en faveur de l’indépendance.

En Europe, la thèse véhiculée par l’exécutif espagnol concernant les indépendantistes catalans est caricaturale, les comparant à des nationalistes égoïstes et riches souhaitant payer moins d’impôts à Madrid. Faisant abstraction du fait que la Catalogne a subi elle aussi de plein fouet la crise économique et les conséquences de la bulle immobilière. Le mouvement indépendantiste catalan est divers, droite, gauche alternative, centre, républicains mais, à l’heure de l’exercice du droit à l’autodétermination, l’union entre ces différentes tendances s’est réalisée.

C’est donc l’enjeu de ce procès, suivi par 600 journalistes du monde entier, faire connaître la réalité de ce pays, car il concerne en premier lieu l’Europe politique. Silencieuse. Se bornant à répéter qu’il s’agit d’un problème interne espagnol. Les précautions furent moindres concernant l’ex-Yougoslavie, la Slovénie ou l’Ecosse. Force est de constater qu’à part les eurodéputés verts et l’eurodéputée communiste Marie-Pierre Vieu déclarant à propos des prévenus catalans que “l'Union européenne ne peut rester silencieuse, leur liberté est notre liberté”, peu de voix s’élèvent contre cette procédure inique et d’un autre temps. Signe d’espoir malgré tout, la justice allemande comme la justice belge ont refusé d’extrader Carles Puigdemont, le dirigeant catalan exilé.

A l’heure où des vents mauvais soufflent en Autriche, Hongrie, Pologne et Italie, il est inquiétant de noter que le parti espagnol se portant partie civile dans ce procès est le parti Vox clairement identifié à l’extrême de la droite. L’Europe reste étonnament silencieuse face à cette montée de l’extrémisme de droite. Une période agitée s’annonce. D’ores et déjà, des élections générales anticipées auront lieu dans l’Etat espagnol, après la décision des indépendantistes catalans (17 au total) de ne pas voter à Madrid le budget du socialiste Pedro Sanchez. Un dialogue ténu s’était pourtant noué entre lui et les indépendantistes, rompu avant l’ouverture du procès. Un dialogue urgemment nécessaire.