Goizeder TABERNA

Procès de Sorzabal et Pla : une tribune pour le processus de paix

Au tribunal correctionnel de Paris, les militants d’ETA ont exposé le contexte dans lequel se trouvait la tentative de résolution du conflit lors de leur arrestation en 2015, à Saint-Etienne-de-Baïgorry.

Le procès d'Iratxe Sorzabal et David Pla se déroule jusqu'au 5 février au tribunal de Paris.
Le procès d'Iratxe Sorzabal et David Pla se déroule jusqu'au 5 février au tribunal de Paris.

C’est l’image du papier qui colle et dont on n’arrive pas à se défaire. Le tribunal leur reproche le port d’armes, ils voulaient les rendre. Il les accuse d’être en possession de faux documents et de documents internes à l’ETA au moment de leur arrestation, ils mettaient tout en œuvre pour sortir de la clandestinité et pour démanteler l’organisation. En ce premier jour de procès, lundi 4 février, Iratxe Sorzabal et David Pla répondent aux questions du tribunal par une volonté, en 2015, de mener à bien une fin ordonnée et vérifiable de l’organisation.

Tout au long de l’audience, les juges se sont intéressés aux chefs d’accusation : à leur appartenance à l’ETA, au port d’armes, de faux documents et d’argent issu du "financement du terrorisme". Les deux Basques se sont prêtés au jeu des questions réponses, offrant des explications sur la construction du processus de paix. En revanche, ils ont refusé de répondre à des questions portant sur le fonctionnement ou d’autres membres du groupe indépendantiste. "Nous ne sommes pas venus pour ouvrir de nouvelles voies d’enquête judiciaire", a prévenu David Pla.

Le juge essaiera bien de les faire parler sur l’origine du matériel informatique trouvé dans le gîte de Saint-Etienne-de-Baïgorry, le 22 septembre 2015, dans lequel ils ont été arrêtés, sur l’arme de poing et les faux documents. Les prévenus se sont cantonnés à expliquer le contexte dans lequel se déroulait la réunion qui devait se tenir avec Ramuntxo Sagarzazu et les étapes qui les ont amenés à cette situation.

C’est en 2010 que David Pla entre en clandestinité, désigné par l’organisation pour mener à bien la résolution des conséquences du conflit armé, dans le cadre d’un processus de paix. C’est dans la même période qu’Iratxe Sorzabal, dans l’organisation déjà depuis quelques années, a accepté cette même mission.

Sortir du conflit

Lorsqu’une des assesseurs demande ce qui a changé dans leur mode de vie clandestine, considérant que "le seul gros changement, l’utilisation des armes, est subjectif", David Pla répond : "La seule chose qui n’a pas changé est bien la clandestinité, mais ETA depuis 2010 n’a pas mené d’action armée, ni recherché d’objectifs, ni fabriqué d’explosifs, ni levé l’impôt révolutionnaire. Tout ETA était uni et tourné vers le processus de paix". Et Jean-Pierre Massias, professeur d’université en droit et témoin pendant l’audience, n’en doute pas : "Pendant ces dix dernières années, l’activité principale de l’organisation était de sortir du conflit".

La rencontre avec Ramuntxo Sagarzazu en fait partie. "Nous devions trouver une voie pour avancer dans le processus puisque nous étions dans une situation de blocage. Nous voulions entendre l’opinion de Sagarzazu en tant qu’ancien militant d’ETA", précise l’ancien interlocuteur pour la résolution du conflit.

Le blocage vient du refus des gouvernements espagnol et français de se mettre autour de la table, malgré un accord de principe avec le Gouvernement de Rodriguez Zapatero, en 2011, et une feuille de route établie par les acteurs internationaux impliqués dans la démarche à ce moment-là. L’organisation aurait voulu trouver un accord avec les gouvernements, reconnaît David Pla, elle a tout de même décidé d’aller plus loin, "au moins dans les aspects qui étaient entre [ses] mains". Résolue à ne pas terminer sur un échec, "l’organisation décide de régler cette question avec la communauté internationale et la société civile basque".

Mort du policier Nérin

La fin de l’activité armée annoncée, "comment se fait-il qu’en 2015 vous déteniez une arme ?" insiste le président. "Lors de la préparation du cessez-le-feu, l’organisation s’était engagée à n’exécuter personne ni à effectuer aucune action armée", commence à expliquer David Pla, "un des points abordés avec la Commission internationale de vérification du désarmement était celui du port d’armes. ETA s’est engagée à n’utiliser d’arme en aucun cas, à une seule exception près : celle où un militant serait attaqué ou que sa vie serait en danger".

Lorsque son tour est venu, le procureur de la République a tiré sur ce fil. La mort du policier Jean-Serge Nérin, en 2010, et les tirs sur des gendarmes en Corrèze, début 2011, auraient-ils été l’illustration de la règle sur le port d’arme ? "Ce fait n’a rien à voir avec ce que j’ai exposé, l’engagement pris auprès de la Commission de vérification date de septembre 2011".

C’est après une série d’engagements, posés les uns après les autres sur la voie du processus de paix, qu’ETA a finalement mené à bien son désarmement, puis sa dissolution. Lors du séjour d’Iratxe Sorzabal et de David Pla à Oslo (2011-2013)— les prévenus diront "un pays européen"—, la voie du processus unilatéral semble se dessiner. La délégation ne s’y trouve pourtant pas dans des conditions de clandestinité, mais bien "acceptée et reconnue en tant que délégation par les autorités de ce pays européen, tout comme les gouvernements espagnol et français avaient connaissance de celle-ci".

Finalement, "le gouvernement français a fini par apporter une aide logistique et technique au désarmement", a affirmé à la barre l’ancienne journaliste Anne-Marie Bordes. Citée comme témoin par la défense, elle a raconté le processus de paix à travers son regard. D’abord celui de journaliste, pendant 40 ans, puis de personnalité impliquée dans le désarmement du 8 avril 2017. "Ce jour-là, j’étais très émue car j’ai vu défiler un tas de choses dont j’ai été témoin", a-t-elle confié, elle qui a pu constater à travers son travail à quel point la situation était compliquée, à quel point le sang a coulé.

Allégations de torture

"On peut le voir comme un processus de paix ou une reddition, peu importe, la question est : quelle est la meilleure interprétation possible pour construire une société basque apaisée, pour que l’un des deux protagonistes n’en sorte pas humilié ?". Les propos de Jean-Pierre Massias viennent en conclusion d’un après-midi d’audience, comme un écho à tous les thèmes abordés alors que l’universitaire n’y a pas assisté du fait de son statut de témoin.

Dans son exposé, la question de la torture et de sa reconnaissance a pris une place importante. Quelques minutes plus tôt, Iratxe Sorzabal en a parlé, à la première personne. Le juge d’instruction avait accepté de mener une expertise, le protocole d’Istanbul, afin de vérifier les allégations de torture qu’elle a portées à l’encontre de la garde civile espagnole.

Une expertise qui, 16 ans après les faits, lui a permis pour la première fois d’en parler. Coups, agressions sexuelles, poche sur la tête, électrodes… le rapport corrobore "de façon particulièrement convaincante" les déclarations d’Iratxe Sorzabal. La lecture des conclusions ne semble pas susciter l’intérêt du procureur. Elles sont récusées par le médecin légiste de l’Audiencia nacional. Ce dernier considère que l’expertise française manque de rigueur, de fondement scientifique. Des juges de la chambre d’instruction doivent encore se prononcer sur un des trois mandats d’arrêt européens ordonnés à l’encontre de la militante. Ils se basent sur les déclarations faites sous la torture.