AINHOA AIZPURU

Une police française armée jusqu’aux dents

Les forces de l'ordre françaises, parmi les plus lourdement armées d'Europe, disposent d'un arsenal incroyablement important. Leur usage a beau être encadré par des textes légaux d'une grande précision, les manifestations des “Gilets jaunes” montrent que la pratique est parfois différente de la théorie.

Les violences policières sont particulièrement visées dans les dernières manifestations des "Gilets jaunes". © Isabelle Miquelestorena
Les violences policières sont particulièrement visées dans les dernières manifestations des "Gilets jaunes". © Isabelle Miquelestorena

Mardi 15 janvier, le Directeur général de la police nationale et ancien préfet des Pyrénées-Atlantiques, Eric Morbvan, a envoyé un document aux policiers afin de rappeler les règles d’utilisation des lanceurs de balles, communément appelés flash-ball, lors des opérations de maintien de l’ordre. Il y précise tout d’abord le contexte : le lanceur de balles de défense (LBD), peut être employé lors d’un attroupement et "en cas de violences commises à l’encontre des forces de l’ordre", ou encore "si elles ne peuvent défendre autrement le terrain qu’elles occupent". Le chef de la police revient alors sur ces strictes conditions d’utilisation : "Les intervalles de distance doivent être respectés" et "le tireur ne doit viser exclusivement que le torse ainsi que les membres supérieurs ou inférieurs". Il indique par ailleurs qu’après un tir, et dès que l’environnement opérationnel le permet, "il convient de s’assurer de l’état de santé de la personne et de la faire prendre en charge médicalement si son état de santé le justifie".

Ce rappel des règles n’est pas anodin. Depuis le début du mouvement des "Gilets jaunes", la violence dans les manifestations a fait de nombreux blessés. Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur français, ils sont au nombre de 1 000 du côté des forces de l’ordre et un peu plus de 1 700 parmi les manifestants. Au Pays Basque, le visage tuméfié de Lola reste gravé dans les mémoires. Son témoignage révèle un non-respect des règles d’utilisation des flash-ball : "J’étais debout sur un banc, je commençais à filmer avec ma petite caméra, et à un moment, j’ai senti le premier tir de flash-ball dans ma tête. Je n’ai rien vu arriver. Il n’y avait pas de groupe, pas de mouvement".

Parmi les plus armées d’Europe

Alors que la liste des amputations et autres blessures irréversibles ne cesse de s’allonger, il est intéressant de s’interroger sur les armes utilisées par la police lors des manifestations. Lanceurs de balles de défense, grenades lacrymogènes, GLI-F4 ou grenades de désencerclement : les forces de l’ordre françaises sont parmi les plus armées d’Europe, comme nous le montre le tableau établi par l’ONG ACAT. Depuis le début des années 2000, le nombre et le type d’armes dites "non-létales" se seraient massivement développées sur l’Hexagone. En haut de la liste, les lanceurs de balle de défense : flash-ball et LBD 40. Progressivement, les LBD 40, produits par la firme suisse Brügger&Thomest tendent à remplacer les flash-ball d’origine française. Or, ces deux armes n’ont pas la même vocation. Classé dans les armes de première catégorie (armes de guerre), le LBD a une distance d’intervention de 10 à 50 mètres et peut être d’une puissance redoutable à courte distance. De plus, le contexte ne permet pas toujours d’assurer la précision du tir.

Comme le rappelle dans son blog Thierry Vallat, avocat au barreau de Paris, l’usage de ces armes non-létales dans les opérations de maintien de l’ordre est très strictement encadré par la loi. Le principe défini par le code de la sécurité intérieure est celui d’un usage "en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée". Différents textes généraux tels que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ou le Code européen d’éthique de la police posent le principe d’un recours à ces armes soumis à une exigence de "stricte nécessité" et de "proportionnalité" au regard du contexte de l’intervention. Dans un rapport remis le 10 janvier 2018 au président de l’Assemblée nationale, le Défenseur des droits Jacques Toubon est allé jusqu’à recommander "l’interdiction des lanceurs de balles de défense dans des opérations de maintien de l’ordre en raison des risques liés à la nature même d’une manifestation où les personnes sont groupées et mobiles".

Une figure d’exception

A l’échelle européenne, l’Hexagone fait aujourd’hui figure d’exception. La plupart des autres pays ont en effet opéré un changement de doctrine du maintien de l’ordre qui est aujourd’hui adossé à une stratégie de désescalade. Ce modèle dit "KFCD" (Knowledge, Facilitation, Communication, Differenciation) vise à éviter la confrontation physique et l’usage de la violence en construisant et en entretenant un dialogue permanent avec la foule afin de permettre une désescalade des tensions. L’absence de recours aux lanceurs de balles de défense et aux grenades de désencerclement entre dans ce type de stratégie.

Pourtant, l’Etat français ne semble pas prêt à changer de méthode. Une nouvelle commande de 1 280 LBD a récemment été réalisée par le ministère de l’Intérieur. Répondre à un conflit par une solution policière plutôt que politique, c’est la voie que semble avoir empruntée le gouvernement. Une décision préoccupante et non sans risque en termes d’escalade de violence.