Anaiz Aguirre Olhagaray

L’État ne “désarmera” pas

La “loi nouvelle” annoncée le 7 janvier par le Premier ministre Edouard Philippe prévoit un durcissement des mesures à l’encontre des “casseurs” et des manifestations non déclarées, tout en envisageant l’arrestation préventive de manifestants présumés violents. Alors que le sénateur basque Max Brisson s’en réjouit, la Ligue des droits de l’homme dénonce une dérive liberticide.

La tenue d'une manifestation non déclarée n'est pas illégale. Mais pourrait bientôt le devenir. © Isabelle MIQUELESTORENA
La tenue d'une manifestation non déclarée n'est pas illégale. Mais pourrait bientôt le devenir. © Isabelle MIQUELESTORENA

"Nous ne devons pas rester désarmés (…), il faut agir, nous en avons les moyens" a déclaré Bruno Retailleau, président du groupe parlementaire Les Républicains au Sénat et auteur de la proposition de loi visant à étendre la responsabilité civile des “casseurs”, sanctionner l’absence de déclaration de manifestation et qualifier de délit le fait de porter une cagoule. Elle envisage aussi d’empêcher de manifester, et d’interpeller de façon préventive des manifestants supposés violents, et préalablement recensés dans un fichier hexagonal.

Votée par le Sénat le 23 octobre dernier, en réponse non pas au mouvement des "Gilets jaunes", mais aux débordements en marge des manifestations de mai 2018 contre la réforme de la SNCF, la loi a été présentée par le Premier ministre Edouard Philippe le 7 janvier sur le plateau de TF1. Elle sera débattue début février à l’Assemblée nationale.

Une réponse "autoritariste"

Dans un communiqué publié le 8 janvier, la Ligue des droits de l’homme (LDH) dénonce une "fuite en avant contre les libertés", considérant que ces nouvelles mesures "portent de lourdes menaces sur la liberté de manifester et la liberté d’opinion de toutes et de tous". Des "effets liberticides" consécutives du "poison de l’état d’urgence", et un retour à la loi "anticasseurs" de 1970, rappelle la LDH. Un "choix de l’autoritarisme" que l’association juge dangereux pour notre démocratie et nos libertés.

Or, pour le sénateur Max Brisson, favorable à cette nouvelle loi, il semble "nécessaire que la République se défende" d’une "minorité agissante qui a la volonté de renverser l’ordre républicain et les institutions de ce pays. La République ne va pas laisser faire et doit se donner des armes pour se défendre", argue-t-il.

Une violence d’Etat assumée

S’agira-t-il d’une restriction de nos libertés ? "Un régime de liberté doit aussi se défendre", s’emporte Max Brisson. "Les extrémistes, qui aujourd’hui manipulent le mouvement des Gilets jaunes, qui cassent, qui demandent la démission du président de la République, sont ceux qui restreindraient les libertés s’ils prenaient le pouvoir. Partout où ces mouvements ont gagné, les libertés ont été sabordées. Donc il faut mettre hors d’état de nuire ces ennemis de la liberté". D’une voix qui laisse deviner une certaine peur, le sénateur pose : "La démocratie a besoin d’armes pour se défendre. Face à la violence, il faut malheureusement répondre par la violence".

L’Etat français est le seul en Europe à utiliser les grenades GLI-F4 pour le maintien de l’ordre. Source : ACAT

Depuis le début du mouvement des Gilets jaunes, 1407 manifestants ont été blessés selon les chiffres officiels, a souligné Amnesty International le 17 décembre 2018. Au lendemain de ce communiqué, dénonçant "un usage excessif de la force lors des manifestations des Gilets jaunes", Lola Villabriga, 19 ans, est victime à Biarritz d’un tir de flash-ball en plein visage, alors qu’elle se tient debout sur un banc, en train de filmer. Une nouvelle preuve que la police agresse des manifestants pacifiques. "Je regrette les abus possibles, mais pour cela il y a la justice, il y a l’IGPN [Inspection générale de la Police nationale]. Nous ne sommes pas au Vénézuéla, nous ne sommes pas en Turquie. Ici la police est républicaine."

Une violence justifiée, aux yeux de Max Brisson, qui se dit "totalement solidaire avec les forces de l’ordre". "Dans une démocratie, la force appartient à l’État. Donc pour se défendre, l’État doit peut-être faire preuve de violence". En attendant que la loi soit soumise au vote de l’Assemblée nationale, il est bon de se rafraîchir la mémoire sur le droit de manifester, rappelé par Amnesty International.