Béatrice MOLLE-HARAN

Une fracture sans précédent entre espoir et angoisse

Les “gilets jaunes” ont placé au cœur du débat les fractures sociales et les inégalités existant depuis des décennies

Béatrice MOLLE-HARAN. © Sylvain SENCRISTO
Béatrice MOLLE-HARAN. © Sylvain SENCRISTO

C’est la suite du mouvement des “gilets jaunes”, et ce sur quoi cette mobilisation inédite et protéiforme va déboucher qui intéresse tout un chacun. Avec un soupçon mélangé d’angoisse et d’espoir. Angoisse, car certes le mouvement est populaire et divers, mais n’est pas à l’abri de dérives populistes et extrémistes tel le mouvement type Cinq étoiles en Italie.

Espoir, car depuis de nombreuses années, la société paraissait s’être habituée à tant d’injustices sociales criantes. Pourtant, les mobilisations contre la loi travail, le mouvement des cheminots et des retraités étaient bien vivaces, mais naviguant au gré d’une indifférence affichée des gouvernements successifs, affichant leur arrogance et leur mépris quant à ces mouvements qualifiés de révolus et appartenant à “l’ancien monde” selon la terminologie macronienne. Nous assurant qu’il n’y avait plus “ni droite ni gauche”.

Et que dire des mesures prises face à l’urgence climatique par les différents gouvernements, incapables d’appliquer les Accords de Paris. Comme l’avait souligné une de nos journalistes, le gasoil a été “la goutte qui a fait déborder la base”. Car comment croire que la classe moyenne et les plus démunis soient obligés de mettre la main à la poche de façon si violente ? Quand 360 milliards ont été affectés à un plan de sauvegarde des banques, 40 milliards de CICE ayant profité aux actionnaires et 4 milliards de baisse d’impôts rendue effective pour les 1 % les plus riches avec la suppression de l’ISF (impôt sur la fortune).

Les “gilets jaunes” ont placé au cœur du débat les fractures sociales et les inégalités existant depuis des décennies, avec des revendications touchant aussi le champ institutionnel, avec notamment la représentativité des élus, l’instauration de la proportionnelle, et la possibilité d’organiser des référendums. Tout cela avec le soutien de l’opinion publique si chère à la classe politique.

Ce mouvement qui se revendique “apolitique ou non politique”, selon les propres termes employés par les “gilets jaunes” est évidemment éminemment politique, car il touche à la paupérisation d’une partie grandissante de la société et à ses fondements. Et l’on ne peut éviter, que l’on soit pour ou contre, d’évoquer cette évidence : le concept de lutte des classes est toujours vivace et explique toujours de nombreuses décisions et choix portés par les dirigeants politiques.

Espoir, car une crise peut déboucher sur une résolution de conflits et d’injustices latents depuis de nombreuses années. Angoisse, car les “gilets jaunes” ne pourront pas faire l’impasse d’une nécessaire représentat&dcFour;ion si ils souhaitent que des négociations aboutissent. Et des divisions sont présentes en leur sein quant au mode de fonctionnement de ce mouvement atypique.

Espoir malgré tout quand l’on passe un petit moment sur un barrage avec la nécessaire distance. Et que l’on observe beaucoup de “gilets jaunes” découvrant la joie d’être ensemble, de humer la solidarité. Et d’avoir la sensation d’exister et de compter. Quelqu’en soit l’issue, pour beaucoup à coup sûr, une aventure humaine sans précédent.