Anaiz Aguirre Olhagaray

L’agriculture paysanne mangée à la sauce des lobbys

Citoyens et élus doivent prendre leur courage à deux mains et faire contrepoids face à la puissance des lobbys, capables de manipuler l’opinion et d’orienter les décisions politiques pour défendre leurs intérêts privés. C’est ce qui est ressorti de la table-ronde qui s’est tenue à Lurrama le 17 novembre dernier.

Agriculteur et conseiller régional, Benoît Biteau est également l’auteur du livre “Paysan résistant !” paru en 2018 aux éditions Fayard. © Bob EDME
Agriculteur et conseiller régional, Benoît Biteau est également l’auteur du livre “Paysan résistant !” paru en 2018 aux éditions Fayard. © Bob EDME

"Les lobbys existent et sont très bien organisés", introduit l’avocate et ancienne ministre de l’Environnement Corinne Lepage, dans son intervention vidéo pour la table-ronde intitulée "Les lobbys veulent nos assiettes". Animée par le journaliste Bixente Vrignon, elle a réuni le 17 novembre au salon de l’agriculture paysanne Lurrama Benoît Biteau (paysan en Charente-Maritime, conseiller régional de Nouvelle-Aquitaine) et Loïc Prud’homme (député, président de la commission d’enquête parlementaire sur l’alimentation industrielle).

"Détruire les lobbys ? Impossible. En revanche, il faut changer les règles du jeu" déclare Corinne Lepage. Le poids des lobbys, elle y est confrontée depuis des décennies, à la fois en tant qu’avocate, députée et ancienne ministre. Avec Gilles-Éric Séralini et Jean-Marie Pelt, elle a d’ailleurs contribué à créer le Criigen, le Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique. L’enjeu est d’arriver à ce que l’influence des associations de plaidoyer (qui font pression pour défendre l’intérêt général et non pas l’intérêt particulier) soit égale à celle des lobbys, "ce qui n’est pas du tout le cas aujourd’hui". Les lobbys disposent de moyens colossaux, mais surtout, d’informations. Obtenues suffisamment en amont, elles leur permettent d’intervenir avant même qu’ONG et associations de consommateurs aient pu dire "ouf".

Des expertises à sens unique

Un problème de taille pointé par l’avocate, c’est l’absence d’études scientifiques contradictoires. Les puissants lobbys commandent des études qui vont dans le sens de leurs propres intérêts. Des travaux non publiés, non vérifiés et qui pourtant se retrouvent sur la table de l’EFSA, l’Autorité européenne de sécurité des aliments, dont le rôle est d’évaluer les risques dans le domaine des denrées alimentaires. "Il faut avoir un rapport de force tel qu’on peut changer les règles d’évaluation et faire des contre-expertises" conclut l’ancienne ministre. Le député Loïc Prud’homme renchérit : "Tout est fait pour discréditer les études scientifiques indépendantes. Résultat, l’EFSA évalue la dangerosité des aliments sur des dossiers faits par les industriels".

L’intérêt général n’est pas pour le député girondin un vain mot. Sa recette anti-lobby : "Je me refuse simplement de les recevoir. Par contre, je ne m’interdis pas de discuter avec les porteurs d’intérêt général, car c’est mon rôle en tant qu’élu. Nous ne sommes pas experts en tout, nous avons besoin de ces gens-là", faisant allusion aux organisations telles qu’Oxfam, France Nature Environnement ou Générations Futur.

“Les élus doivent s’impliquer davantage”

Un participant à la table-ronde s’interroge : comment faire pour que les associations de plaidoyer ne soient pas divisées, et qu’elles aient plus de poids ? "La réponse n’est pas si simple" reconnaît Benoît Biteau. Mais ce qui est sûr pour lui, c’est que les élus doivent se débarrasser de leur "fainéantise" et s’impliquer davantage. "Il faut savoir faire contrepoids politique face aux lobbys".

Le conseiller régional sait de quoi il parle. Il a pris une courageuse décision : arrêter de financer la Chambre d’agriculture de son département. Ainsi, il a proposé de reverser les 1,6 million d’euros qui lui étaient habituellement alloués au profit d’initiatives pour l’agriculture citoyenne. Et des exemples comme EHLG (la chambre d’agriculture paysanne basque, qui organise Lurrama), il en redemande. "Ça devrait être partout comme ça !" clame-t-il avec enthousiasme.