AINHOA AIZPURU

Le dernier chantier naval de Bizkaia touché et coulé

L’historique chantier naval “La Naval” de Sestao en Bizkaia est aujourd’hui au bord de la fermeture. Sauf véritable miracle, c’est une mythique entreprise centenaire qui fermera ses portes sur la rive gauche du Grand Bilbo, la région la plus défavorisée de la Communauté autonome basque.

Le chantier de La Naval est né au début du 20ème siècle alors la bourgeoisie industrielle de Bilbo vivait une époque de richesse.
Le chantier de La Naval est né au début du 20ème siècle alors la bourgeoisie industrielle de Bilbo vivait une époque de richesse.

Le sort du chantier "La Naval" de Sestao semble aujourd'hui scellé. Un an après sa déclaration de faillite, aucun investisseur n’a accepté d’assumer les dettes de l’entreprise qui semble condamnée à fermer ses portes et à disparaître. Le comité d’entreprise et les institutions basques cherchent désespérément un partenaire privé pour sauver cette mythique entreprise de Bizkaia.

C’est au début du vingtième siècle que débute l’histoire de La Naval. A cette époque, la Bizkaia est une puissance industrielle spécialisée dans la sidérurgie et l’industrie lourde. Avec des capitaux britanniques, l'élite basque de l'époque décide de créer en 1916 à Sestao des chantiers navals pour subvenir aux besoins de l’industrie militaire stimulée par la Première Guerre Mondiale. Plus tard, dans les années 40, ces chantiers seront nationalisés et feront partie de l’entreprise publique espagnole vouée à la construction navale civile et militaire.

La Naval de Sestao a réussi à survivre à la grande crise de l’industrie basque des années 1980 en se spécialisant dans la construction de grands navires : gaziers, dragues, pétroliers… En 2005, le chantier naval est privatisé et vendu à des entreprises privées. C’est à partir de ce moment que l’histoire devient invraisemblable. En effet, La Naval continue à construire des navires et attire des commandes, mais la gestion financière est calamiteuse et la situation économique de l’entreprise n’en finit pas de se dégrader. Cela continue jusqu’au point de non-retour en 2017, quand le chantier ne peut plus poursuivre la construction d’une drague commandée par un armateur hollandais. Les dettes sont alors tellement grandes que les banques créancières finissent par se saisir du bateau en construction toujours à Sestao.

200 postes de travail

Dans le concret ce sont 200 postes de travail qui vont disparaître, dans une commune comme Sestao ou le taux de chômage atteignait déjà 19% en septembre 2018 (contre 9% dans l’ensemble de la Communauté autonome). La plupart de ces postes pourront être relocalisés dans d’autres chantiers navals privatisés, mais il s’agit certainement d’une maigre consolation. Dans le meilleur des cas, cela impliquera d'aller s’installer à des centaines de kilomètres de chez soi, en Galice ou en Andalousie, dans des chantiers dont le futur est à peine plus brillant que celui de Sestao. En plus de ces postes de travail directs, on estime que La Naval fait indirectement vivre environ 4 000 professionnels dont le futur est incertain.

Mais en plus de l’impact sur l’emploi et l’activité économique, le cas de La Naval est remarquable pour d’autres raisons plus symboliques. Premièrement, l’ensemble des acteurs concernés reconnaissent aujourd’hui que la privatisation de 2005 n’avait pas de justification économique, mais que ce fut une décision purement politique. Il est clair que l’activité productive était viable, puisque des bateaux ont continué à être construits : c’est la gestion financière de l’entreprise qui a mené à la désastreuse situation présente. Même Arantxa Tapia, ministre de Promotion économique du Gouvernement autonome, a ainsi consenti que la mauvaise gestion était plus à blâmer que la non viabilité de l’entreprise.

Le débat est vif

Mais en ces temps de néolibéralisme avoué, les dogmes en vigueur indiquent que ce qui est privatisé ne peut être rendu public à nouveau. Malgré les demandes, la Diputation de Bizkaia et le Gouvernement autonome refusent de reprendre entièrement le chantier et proposent de prendre une partie minoritaire de l’actionnariat si des investisseurs venaient à reprendre La Naval. Le PNV est accusé de ne pas s’être battu pour que le chantier reste public comme l’ont fait la Galice ou l’Andalousie qui conservent toujours des chantiers publics à El Ferrol et à Cadix. Actuellement, on reproche aussi au Gouvernement son manque d’intérêt pour sauver La Naval alors qu’il a récemment acheté une petite partie des actions du fabricant de trains CAF de Beasain dans une opération dite "stratégique". A l'heure ou certaines grandes mairies de l'Etat espagnol, notamment Madrid et Barcelone mais aussi Santiago de Compostelle ou Saragosse, se battent pour rendre à nouveaux publics certains services municipaux privatisés, le débat est vif au Parlement basque.

Une partie de l’histoire

Si La Naval disparaît, ce sera aussi une partie de l’histoire du Pays Basque qui disparaîtra. Le chantier naval est en effet un des derniers vestiges de la révolution industrielle qui a façonné Bilbo, Bizkaia et le Pays Basque. Au début du vingtième siècle, les unes après les autres, les grandes usines ont fermé leurs portes : nous sommes loin de l’époque où l’entreprise sidérurgique Altos Hornos de Bizcaia employait des milliers de travailleurs et faisait la pluie et le beau temps à Barakaldo, la commune voisine de Sestao.

La naissance des mouvements socialistes et ouvriers, l’afflux de l’immigration espagnole, la grande influence des familles industrielles de Bilbo dans la politique basque et espagnole, l’énorme densité de population de la Communauté autonome basque, l’évolution du nationalisme basque qui a mené à l’apparition d’ETA ou encore la séparation du Grand Bilbo entre la rive gauche ouvrière et la rive droite bourgeoise, autant de phénomènes socio-politiques ne peuvent être compris sans tenir compte de la puissante industrialisation effectuée au sud de la Bidasoa dès le milieu du vingtième siècle. 

Avec la vraisemblable fermeture de La Naval de Sestao, c’est un des derniers symboles de cette époque qui disparaît. Le futur reste incertain pour les travailleurs de La Naval de Sestao qui seront condamnés à payer les frais d'une privatisation hasardeuse.