Francisco Sanchez Rodriguez

Du bon usage de l’inhumain dans la loi asile et immigration

Rassemblement en faveur des migrants et réfugiés organisé par la Cimade, à Biarritz, mercredi dernier. © Bob EDME
Rassemblement en faveur des migrants et réfugiés organisé par la Cimade, à Biarritz, mercredi dernier. © Bob EDME

Le 1er Août 2018, l’Assemblée nationale a définitivement adopté la loi pour une immigration maitrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie.

Mais quelle prétention de croire que cette loi inhospitalière de petite envergure permettra la maitrise de l’immigration, l’effectivité du droit d’asile et la réussite de l’intégration. Au contraire elle vise à précariser l’immigration, entraver le droit d’asile et complexifier l’intégration des migrants en France, en ciblant à tort les demandeurs d’asile, les enfants, les familles et les personnes malades. Cette rupture avec l’humain est inquiétante pour les défenseurs des exilés. Cependant elle devrait nous inquiéter tous, car il n’y a rien de bon dans l’amour amer du pouvoir politique pour le durcissement de la règle de droit, et le resserrement des libertés fondamentales. Et pour ceux qui croient en l’efficacité de la loi Collomb, leurs espérances seront vaines car le fichage des mineurs non-accompagnés, les contre-enquêtes médicales, l’enfermement des familles avec des enfants, ou le déclin de l’intervention du juge judiciaire sont au contraire, de faux arguments d’efficacité.

Il ne peut pas y avoir de maitrise de l’immigration et d’intégration réussie des migrants, sans une politique publique sur l’accueil. En effet il n’y a que par elle que nous pourrons envisager les migrations sur le long terme et de manière collective, et non à coup de mesures fonctionnelles puis restrictives sans impact sur le phénomène migratoire. Aujourd’hui la société civile a peur de l’accueil au motif qu’il est une brèche ouverte pour les migrants “économiques” d’abord, les passeurs et terroristes ensuite. Pour le juriste, ce constat est une grave erreur manifeste d’appréciation, pour le citoyen une méconnaissance totale des réalités. Premièrement, si l’on regarde de plus près le profil de ceux qui viennent en France, il s’agit de réfugiés et de demandeurs d’asile potentiels, de mineurs non-accompagnés qui viennent de Syrie, d’Afghanistan, du Soudan ou de Guinée. Ils ont quitté leur pays d’origine en y étant forcés, et sont en France parce qu’il n’ont pas eu d’autres choix. Ce sont des exilés en quête de refuge et non des migrants économiques en quête de travail. Deuxièmement, c’est par l’accueil des exilés qui sont victimes de la traite que les autorités lutteront efficacement contre les passeurs, et c’est par l’identification, l’enregistrement et l’accompagnement des personnes accueillies qu’elles préviendront les risques de la main invisible du terrorisme.

Selon le juge constitutionnel, aucun principe de valeur n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national. Cela signifie que le législateur peut catégoriser les étrangers et déroger au principe d’égalité pour des raisons d’intérêt général sans être en infraction avec la Constitution (Conseil constitutionnel, décision n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007, considérant n°8). Mais accepterai-je qu’une loi autorise l’administration à me priver de liberté sans connaitre à bref délai la régularité de la procédure ? Accepterai-je que l’administration conteste le bien fondé de l’avis du médecin concernant ma pathologie ? D’être entendu par un juge par visio-conférence ? De voir mon enfant enfermé ? Que l’on remette en question le lien de filiation, le nom de famille et la nationalité de mon enfant ? D’être doublement condamné ? De toute évidence, non. C’est pourtant exactement ce qui va s’appliquer pour les étrangers. Dès lors n’est-il pas légitime de se demander si les dérogations au principe d’égalité envisagées par le ministre de l’Intérieur et le Parlement sont vraiment nécessaires dans la société démocratique. Qu’avons-nous à gagner d’une loi en tension avec l’humain, et qui affaiblit les lois nécessaires dont celles relatives aux droits de l’homme ? Au demeurant, rien de sincèrement bon pour la communauté.

Il incombera donc aux juges et aux députés de l’opposition de saisir le Conseil constitutionnel pour qu’il vérifie la conformité de la loi asile et immigration à la Constitution. Quant aux défenseurs des libertés et aux avocats, la saisine de la Cour européenne des droits de l'homme (CourEDH) sera inévitable.