AINHOA AIZPURU

Le débat sur le tourisme de masse est ouvert à Donostia

Alors que les chiffres de fréquentation ne cessent d'augmenter, la population locale se voit confrontée à de nouvelles problématiques liées au tourisme. Les difficultés de logement des jeunes, le tapage nocturne, la hausse des prix, la prolifération d'appartements touristiques ou encore la perte d'identité de certains quartiers provoquent la colère d'un nombre croissant d'habitants de la capitale du Gipuzkoa.

L'instauration d'une taxe touristique fait actuellement débat à Donostia.
L'instauration d'une taxe touristique fait actuellement débat à Donostia.

Certes, Donostia a été une destination de villégiature au moins depuis le milieu du XIXème siècle. Mais ces dernières années, dans le contexte de la fin d'ETA et de l'instabilité en Méditerranée, le nombre de touristes a explosé. Les problèmes déjà rencontrés par des villes comme Barcelone, Venise ou Palma de Mallorca sont pointés du doigt comme une menace pour la qualité de vie des Donostiar.

Face à ces craintes les différentes institutions compétentes -Gouvernement de la Communauté autonome basque, Diputación foral et Mairie- nient le problème et poursuivent des politiques de promotion touristique. Denis Itxaso, délégué à la Culture et au Tourisme à la Diputación foral de Gipuzkoa, est allé jusqu’à suggérer un lien entre les mouvements de contestation et la violence politique. En effet, alors que le Pays Basque Sud peine à créer des emplois, la manne du tourisme est perçue par les pouvoirs publics comme une solution providentielle créatrice de postes de travail. Des emplois malheureusement souvent précaires et mal payés.

Dans ce contexte, la mairie de Donostia a lancé fin juillet une campagne publicitaire visant une meilleure coexistence entre touristes et habitants locaux. Des affiches en basque, castillan, français et anglais ont ainsi été créées avec différents slogans : "soutenez le commerce local", "respectez le sommeil des voisins", "essayez de parler en basque".

Cependant, cette campagne a aussi fait des mécontents. Ces derniers pointent du doigt l'incohérence des institutions qui véhiculent certains messages plutôt positifs, tout en menant des politiques en apparence contraires. Les habitants du Vieux Quartier se plaignent de la passivité des autorités municipales face au puissant lobby hôtelier qui entraîne une privatisation de l'espace public et des nuisances sonores. De plus, une vingtaine de nouveaux hôtels ouvriront sous peu leurs portes dans la ville, dont plusieurs dans le Vieux Quartier. Le choix de faire la promotion du Gipuzkoa sous le slogan en anglais "San Sebastian Region" fait aussi grincer les dents des défenseurs de la culture et de la langue basque.

Appartements touristiques

S’il existe un problème que le tourisme intensifie dans la ville de Donostia, c'est bien celui du logement. Le prix du mètre carré y est particulièrement élevé, hissant la capitale du Gipuzkoa dans le triste podium des villes les plus chères de l'Etat espagnol, à l'achat comme à la location. Cette problématique, bien que présente depuis maintes années, s'est brutalement aggravée avec le phénomène des appartements touristiques. Certains quartiers comme le Vieux Quartier, Gros ou l'Antiguo en souffrent particulièrement. L'apparition de plateformes en ligne de locations saisonnières a quasiment fait disparaître les locations à l'année, mettant même en difficulté les étudiants de l'Université à la recherche d'un logement. En conséquence, les jeunes et les familles ont de plus en plus de mal à accéder à la propriété à Donostia et choisissent de s'installer dans les communes limitrophes comme Astigarraga, Pasaia ou Lasarte qui deviennent ainsi des villes-dortoir.

La Mairie de Donostia a fini par réagir en présentant en 2018 une ordonnance municipale visant à limiter les locations saisonnières. En plus d'interdire de nouveaux appartements touristiques dans des zones saturées comme le Vieux Quartier et Gros, la norme prévoit certaines limites pour le reste de la ville ainsi que la création d'un registre d'appartements touristiques. Cette ordonnance, longuement demandée, a néanmoins reçu des critiques de part et d'autre. Les associations de propriétaires d'appartements touristiques dénoncent qu'il s'agit d'une amnistie des appartements déjà existants (même ceux créés lors du long processus de rédaction de l'ordonnance) et pointent l'illégalité d'un registre professionnel, menaçant même de porter la question devant les tribunaux. D'un autre côté, les associations d'habitants se plaignent de la lenteur du processus, et crient au manque de contrôle exercé par les autorités municipales. D'après eux, la simple application des ordonnances déjà existantes aurait suffi, mais il manquerait de la volonté politique pour l'appliquer.

Des effets négatifs sur la libre concurrence

Dans ce débat tendu autour du logement, un nouvel acteur a fait une apparition fracassante. La Commission nationale des marchés et de la concurrence (CNMC) espagnole a annoncé, mardi 7 août, qu'elle porterait devant la justice les ordonnances municipales de Donostia, Bilbo et Madrid limitant le nombre d'appartements touristiques. Les villes de Barcelone et Valence sont elles aussi visées. La CNMC soutient que ces mesures ont des effets négatifs sur la libre concurrence car elles empêchent l'entrée de nouveaux opérateurs et favorisent ainsi ceux implantés. La Commission indique également que dans aucune des trois villes, "les objectifs d'intérêt général sont respectés". Il faut rappeler que la CNMC a le droit de porter devant la justice toute norme inférieure à une loi.

Cette décision, visant à réduire la capacité des mairies à organiser la vie des villes et à réguler les effets indésirables de certaines activités économiques, a été accueillie avec stupéfaction et contrariété par les municipalités concernées. Eneko Goia, maire de Donostia, a déclaré que "[il] ne partage pas du tout cette décision. La mairie doit toujours défendre sa capacité d'organiser l'usage de l'espace de la commune". Il a également rappelé qu'il s'agissait d'un "instrument essentiel pour organiser la coexistence entre citoyens". Devant cette décision, "nous défendrons le point de vue de la Ville, face à cette interprétation qui confie tout au libre marché sans tenir compte d'aucun autre principe" a-t-il mis en garde.

Autour du tourisme et de ses conséquences, qu'elles soient positives ou négatives, le débat reste vif dans la capitale de Gipuzkoa. Les intérêts des citoyens, du lobby hôtelier et les différentes visions de la société s'affrontent cet été avec au tournant, les élections municipales de 2019. Donostia est peut-être une ville touristique depuis plus d'un siècle et demi, mais les conséquences néfastes de la massification et de la mondialisation du tourisme pourraient remettre en question la portée de sa vocation touristique.