Lucien Etxezaharreta

L’accordéon, instrument populaire entre le traditionnel et le contemporain

Bien que récent, la trikitixa et l’accordéon chromatique sont des instruments que l’on relie à l’expression culturelle basque populaire. Témoins de la vie, ils évoluent vers des formes plus contemporaines.

Les élèves de l'école Kornelio à Ascain. © DR
Les élèves de l'école Kornelio à Ascain. © DR

De grands noms ponctuent l’histoire récente de l’accordéon au Pays Basque. Le navarrais Enrike Zelaia, les gipuzkoans Kepa Junkera, Joseba Tapia, ou encore Kaxiano l’aveugle sont célèbres et de ce côté de la Bidassoa Galtxeburu de Garazi, Kornelio d’Ascain, Louis Beheretxe d’Itxassou sont dans toutes les mémoires. La musique contemporaine est illustrée par de nombreux musiciens comme Jesus Aured, Jean-Christian Irigoyen, Philippe de Ezkurra ou Joxan Goikoetxea. Dans le monde du jazz, l’accordéon trouve sa place et Didier Ithurssary en est l’un des fleurons.

Accordéon diatonique ou chromatique : “un ensemble d’anches libres excitées par un vent variable fourni par le musicien” : c’est la définition technique d’un instrument qui fête ses deux siècles d’existence qui recouvre mal tout ce monde lié à la joie, à la fête et à la danse. Mais aussi aux sons déchirants des exilés d’Europe centrale ou encore aux expressions sensibles de musiciens contemporains. L’accordéon chromatique connut un regain d’intérêt après la vague des trikitixas venue du Gipuzkoa dans les années 80. Cet accordéon diatonique, accompagné par le rythme du pandero, souvent accompagné de bertsus, a été un acteur important de toutes les manifestations culturelles de ces années. Une belle histoire s’y cache aussi avec le rôle des musiciens immigrés italiens qui vinrent fin 19e siècle poser les premiers rails de chemin de fer en Pays Basque Sud et qui transmirent cet instrument.

La belle compilation réalisée par Bernardo Atxaga pour le numéro onze de la revue Erlea montre le regard passionné de la littérature basque pour cet instrument, illustrant les remous culturels entre le traditionnel et le contemporain.

La mémoire de Kornelio

Parmi divers lieux d’apprentissage de l’accordéon, l’école de musique d’Ascain se distingue cultivant la mémoire de Kornelio, musicien compositeur qui marqua la vie du village. Cette école fut créée par la volonté d’Andde Luberriaga, maire, mais a un statut privé, dirigée actuellement par Dominique Jorajuria. Parmi les 127 élèves apprenant le saxophone, le violon ou le chant, une vingtaine composent la classe Kornelio, originaires également des villages environnants, Sare, Urrugne ou Saint-Pée-sur-Nivelle où il n’y a pas d’école. Le groupe est actuellement sous la férule d’Iñaki Diéguez après avoir débuté avec Jesus Aured. La trikitixa était enseignée au début mais ne l’est plus actuellement au profit de l’accordéon chromatique.

Ascain célèbre l’accordéon

Ce vendredi avec le concert des élèves débutera le quatrième “Kornelio Egunak”, une fête de l’accordéon qui se prolongera ce samedi avec un défilé de classes d’accordéon. Des écoles du Gipuzkoa et de Navarre y participeront.

Kornelio faisait partie d’une fratrie de huit frères, tous musiciens, dont le nom de famille était Elizalde. Il composa diverses pièces dont le célèbre Fandango Kornelio. Comme tous les accordéonistes de l’époque, il était l’accompagnateur de toutes les fêtes de villages et mariages.

Ce qu’on a pu définir avec un peu de condescendance comme le “piano du pauvre”, comme d’ailleurs avec le violon dont la présence ici est assez oubliée, a accompagné la vie, s’insérant aussi dans l’oralité avec le chant comme dans la trikitixa.

Beñat Irigoyen, dit Galtxataburu, du nom de sa maison située sur la colline de Gamarthe, reste un monument de l’accordéon. Mort en 1990, pendant 40 ans, il officia dans toute la région. Les Sauts Basques et les Contredanses étaient sa spécialité. On ne sait d’où venaient ses partitions et on ignore celles qui étaient ses compositions propres. Beaucoup d’autres sont restés anonymes. L’improvisation et l’accompagnement musical sont des domaines plus modernes.

L’intégration de l’accordéon à la communauté basque a été immédiate et massive mariant, comme d’habitude, le local et l’universel, comme dans toutes les cultures. Mais le son de l’accordéon sera aussi toujours celui de l’émotion, et on peut rappeler la mémoire de ce musicien aveugle qui mendiait au carrefour des Cinq-Cantons à Bayonne et qui, ce samedi 28 septembre 1975 où passait dans la rue la foule dénonçant le nouveau crime de Franco, abandonna les airs musette pour déployer l’air de Eusko Gudariak.