Téo CAZENAVES
Elkarrizketa
Anna-Maria Graziani
Présidente du mouvement Ghjuventù Indipendentista

“L’Etat reste dans sa lignée négative vis-à-vis des revendications du peuple corse“

Anna-Maria Graziani, qui a récemment succédé à Paul Salort à la tête de Ghjuventù Indipendentista, revient pour MEDIABASK sur les mobilisations des jeunes nationalistes.

Anna-Maria Graziani. © DR
Anna-Maria Graziani. © DR

Au-delà de l’offensive institutionnelle portée par la coalition politique, la mobilisation indépendantiste se déploie aussi sur les bancs universitaires. Au sein de l’Université de Corse Pasquale Paoli, trois organisations étudiantes nationalistes tentent de rallier les quelques 4 500 étudiants du campus de Corte. Au gré des scissions et refondations du mouvement nationaliste, l’espace politique et syndical universitaire est aujourd’hui occupé par Ghjuventù Indipendentista, Ghjuventù Paolina et A Cunsulta di a Ghjuventù Corsa. Le 11 février dernier, réunies en assemblée, les trois formations ont décidé de bloquer la faculté pour protester contre la réponse négative d’Emmanuel Macron, lors de sa venue sur l’île, à leurs principales revendications. Statut de résident, co-officialité de la langue, amnistie des prisonniers politiques : ce sont aussi ces revendications qui ont conduit onze étudiants à mener une grève de la faim de quatre jours, interrompue après l’appel solennel de Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni.

Quel bilan faites-vous des mobilisations des organisations étudiantes après la venue d’Emmanuel Macron en Corse : blocage de l’Université de Corte, quatre jours de grève de la faim ?

Anna-Maria Graziani : On a commencé en frappant fort. C’est le début d’une mobilisation qui est loin d’être terminée. On a voulu commencer cette fois-ci par une action forte, pour montrer à l’Etat que c’était facile de nous dire non, mais qu’on ne resterait pas sans rien dire et sans rien faire. Il y a beaucoup d’autres actions prévues, on prend notre temps pour les organiser. On va rester dans la lignée de nos revendications historiques et des actions qu’on mène en général, en occupant la lutte de terrain.

En tant qu’organisation de jeunesse, qu’est-ce qui vous différencie des mouvements politiques nationalistes traditionnels ?

A-M. G : La jeunesse, déjà. L’insouciance de la jeunesse, au niveau des actions. Je pense que par rapport aux partis politiques, étant donné que plusieurs d’entre eux sont représentés au niveau de l’Assemblée de Corse par les élus, on peut peut-être se permettre davantage de choses au niveau des mobilisations. On est vraiment une organisation de jeunesse indépendante de tout parti politique : on peut donc se permettre d’occuper davantage la lutte de terrain que les partis politiques représentés institutionnellement.

Quel regard portez-vous sur les récentes victoires des nationalistes : trois députés à l’Assemblée Nationale, une victoire confortable aux territoriales de décembre 2017 ?

A-M. G : On s’en réjouit, évidemment. Il vaut mieux avoir des nationalistes au pouvoir que des gens qui ne sont pas de notre parti. Ils font leur travail, ils le font certainement très bien. Après, ils n’occupent évidemment pas la même lutte que nous : eux, c’est une lutte institutionnelle, nous, c’est une lutte de masse. Mais évidemment, on ne peut que s’en réjouir.

Vous avez participé aux rencontres internationales de Corte, qui rassemblaient des organisations de jeunesse venues du monde entier. Quel bilan tirez-vous de cette confrontation avec d’autres expériences nationalistes ?

A-M. G : Oui, c’est nous qui les organisons, chaque année, pendant trois jours. C’était la quinzième édition. On en tire un enrichissement politico-culturel, peut-être des exemples à suivre, parce que du moment qu’une lutte est menée, c’est qu’elle vaut le coup d’être menée. On s’inspire de toute façon de toutes les luttes qui vont dans le même sens que la nôtre.

Que vous inspirent les difficultés du processus d’indépendance catalan ?

A-M. G : Nous déplorons les difficultés qui les empêchent d’accéder à l’indépendance de la Catalogne. On les soutient évidemment : on aimerait bien nous aussi arriver un jour à un référendum d’indépendance. Toutes les luttes en quête d’indépendance constituent un exemple pour nous.

Les négociations entre les élus corses et le gouvernement patinent, notamment au sujet de l’inscription de la Corse dans la Constitution. Que vous inspirent les difficultés de ce processus ?

A-M. G : Ça ne nous étonne pas mais ça nous déçoit, parce qu’à un moment donné… Quand le peuple seul demandait ces revendications, c’était non, parce que l’institutionnel ne les demandait pas. Aujourd’hui, l’institutionnel le demande et c’est toujours non. On est dans l’incompréhension. Rien d’étonnant : l’Etat reste dans sa lignée négative vis-à-vis des revendications du peuple corse.

Quelles revendications jugez-vous principales dans le règlement du conflit ?

A-M. G : L’inscription de la Corse dans la Constitution, une co-officialité de la langue, un statut de résident, principalement. Qui seront des portes ouvertes vers l’indépendance de la Corse, pour plus tard.

Un statut de résident pour lutter contre la spéculation immobilière ?

A-M. G : Oui, entre autres. Et pour qu’à un moment donné, les Corses aient un statut particulier vis-à-vis des autres : du moment où ils ont un statut particulier, ils sont forcément reconnus en tant que Corses.

Sur quelle base ? Résidents nés en Corse, personnes attachées à la culture corse, habitants de l’île ?

A-M. G : Oui, des gens qui vivent en Corse. Après, toute personne qui se sent corse… On se sent corse historiquement parlant, de toute façon, et c’est bien pour cela qu’on appuie des revendications qu’on estime légitimes. Rien qu’en parlant de l’aspect historique de la Corse, qui, à un moment donné, a été indépendante, et qui peut mériter de l’être encore. Qui a reconnu un peuple corse et qui peut en reconnaître encore un autre.