Téo CAZENAVES

En Corse, l’Etat français freine les revendications nationalistes

La révision constitutionnelle du statut de la Corse mécontente les élus nationalistes, qui la jugent insuffisante et dénoncent un “déni de démocratie” après leur victoire sans appel lors des élections de décembre 2017.

Une délégation basque a pour habitude de se rendre aux Journées internationales de Corti. © DR
Une délégation basque a pour habitude de se rendre aux Journées internationales de Corti. © DR

Trois députés à l’Assemblée Nationale française, une victoire confortable aux dernières élections territoriales de décembre 2017 : en Corse, les nationalistes ont enchaîné l’année passée des victoires encore inespérées il y a dix ans. L’adieu aux armes, la réaffirmation culturelle et un militantisme politique de terrain ont permis aux candidats de Pè a Corsica, la coalition électorale formée par les autonomistes de Femu a Corsica et les indépendantistes de Corsica Libera –respectivement dirigés par Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni– de convaincre les électeurs corses. Mais la nouvelle majorité se heurte aux réticences du gouvernement français.

L’inscription de la Corse et de ses spécificités dans la Constitution –l’une des principales revendications nationalistes–, constitue le principal point d’achoppement entre l’Etat et la majorité territoriale, à la tête de la Collectivité de Corse, fusion inédite de l’ancienne Collectivité territoriale de Corse et des deux départements de l’île. La Corse est ainsi considérée comme une collectivité territoriale à statut particulier, tel que spécifié à l’article 72 de la Constitution. Les nationalistes souhaitaient obtenir la modification de l’article 74, qui offrirait à l’île un statut d’autonomie comparable à celui des collectivités d’outre-mer. Mais l’Etat a finalement opté en faveur de la création d’un article 72-5, moins avantageux pour les élus corses, qui permettra d’emporter l’accord d’une majorité sénatoriale de droite.

En Corse, la révision constitutionnelle ne convainc pas. Gilles Simeoni, le président de la Collectivité, s’est ainsi élevé contre “un déni de démocratie de Paris”. Même son de cloche chez Michel Castellani, l’un des trois députés nationalistes à arpenter les couloirs de l’Assemblée, pour qui “la vacuité du texte constitue un déni de démocratie face à la volonté des Corses, exprimée par des votes répétés, de voir enfin traités sur le fond les problèmes sociaux, culturels, et donc politiques de l’île”. Ce à quoi Jacqueline Gourault, ministre chargée par le gouvernement du dossier corse, a répondu que l’objectif de la réforme était “d’ancrer la Corse dans la République […] tout en lui reconnaissant des spécificités”. Le président de l’Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni, issu des indépendantistes de Corsica Libera, a quant à lui évoqué “un article [qui] n’est pas à la hauteur des enjeux politiques et de la volonté exprimées par les Corses en décembre dernier”.

Les nationalistes avaient pourtant pris l’opportunité de réforme constitutionnelle au sérieux, et avaient remis aux cabinets d’Emmanuel Macron, d’Edouard Philippe et aux parlementaires un rapport rédigé spécialement par la constitutionnaliste Wanda Mastor. L’étude juridique, intitulée “Pour un statut constitutionnel de la Corse”, pointe les écarts entre le statut constitutionnel de l’île et ses compétences effectives : “au niveau constitutionnel, la Corse possède, aujourd’hui, un statut équivalent à celui de la métropole de Lyon”, pointe Wanda Mastor. “Le décalage existant entre l’évolution législative de cette collectivité devenue unique au 1er janvier 2018 et l’absence de consécration constitutionnelle de sa spécificité n’est pas que décriée par les insulaires et leurs représentants. Elle constitue une incohérence institutionnelle qui met en danger l’équilibre du texte constitutionnel”. La juriste considère qu’au vu des compétences qu’assume déjà les institutions décentralisées, la Corse “mériterait a minima de bénéficier des autres particularismes accordés aux terres d’outre-mer”. Elle préconisait donc la création d’un article 74-2, qui prévoirait pour l’île “un statut qui tient compte de ses spécificités au sein de la République”, et qui serait “défini par une loi organique, adoptée après avis de l’Assemblée de Corse”.

Mais le Conseil d’Etat a d’ores et déjà validé la proposition de loi qui a été présentée au Conseil des ministres le 9 mai dernier. Dans une interview à nos confrères de Corse-Matin, l’eurodéputé belge Philippe Lambert, membre du groupe Verts / Alliance Libre Européenne, a dénoncé une “volonté d’humilier” et une “attitude de dénigrement [qui] ne peut que pousser à la radicalisation”. Lambert a résumé par une sévère formule son opinion sur le blocage : “il y a eu une main tendue et une paire de baffes en réponse”.

Hommage à la Catalogne

Si Gilles Simeoni a récemment déclaré que “la Corse n’[était] pas la Catalogne” pour apaiser certaines peurs jacobines, les nationalistes de l’île portent assurément un regard particulier sur le conflit politique qui oppose Madrid aux indépendantistes catalans.

A l’initiative du média catalan VilaWeb, Jean-Guy Talamoni a ainsi adressé le 5 mai dernier une lettre à Carles Puigdemont. Le président de l’Assemblée de Corse s’exprime ainsi : “c’est avec consternation que nous avons observé la réaction brutale et anti-démocratique de Madrid ainsi que la sereine détermination d’un peuple en marche vers son destin”. Talamoni, plusieurs fois présent lors des étapes phares du Procés en Catalogne, réitère son soutien : “notre solidarité politique et fraternelle vous est naturellement acquise, ainsi qu’à tous les vôtres qui connaissent la prison ou l’exil”. Il en profite également pour comparer les deux situations, et tacler ainsi Paris : “dans notre pays également, une volonté de liberté s’est manifestée démocratiquement à travers le suffrage universel”, écrit Talamoni. “En décembre 2015, par un vote depuis confirmé et amplifié à deux reprises, les Corses ont confié les clés des institutions insulaires au mouvement patriotique, à savoir la famille politique qui n’a jamais considéré la Corse comme une entité administrative mais bien comme une nation”, poursuit le chef de file de Corsica Libera. Le 18 avril 2018, un collectif de solidarité Corse-Catalogne a d’ailleurs été créé sur l’île.