Xan Idiart

Peio Serbielle : “C'est quatorze ans de violence, quatorze ans de condescendance et quatorze ans de mépris”

Le chanteur basque est jugé avec trois autres personnes au tribunal correctionnel de Paris ces 22 et 23 mai dans une affaire qui le lie à ETA et qui date d'octobre 2004. MEDIABASK l'a rencontré deux jours avant son procès.

Peio Serbielle risque dix ans de prison. © Bob EDME
Peio Serbielle risque dix ans de prison. © Bob EDME

Vous allez être jugé au tribunal correctionnel de Paris. Que vous reproche-t-on exactement, et quelle peine encourez-vous ?

Peio Serbielle : On me reproche de faire partie d'une association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. On me reproche d'avoir accueilli sciemment la direction d'ETA militaire pour faire des réunions à mon domicile. Ma réponse est la même depuis le départ : il y a une tradition d'hospitalité au Pays Basque que j'ai aussi fortement dans ma famille puisque mon papa était résistant. L’État espagnol mène aujourd'hui une politique Maccarthiste. On met dans le même paquet des gens qui pratiquent la lutte armée et des gens qui ne la condamnent pas du point de vue du verbe. Les gens qui sont dans cette dynamique là et qui ne sont pas tous violents se trouvent de facto être des terroristes. Ce sont des gens de partis politiques de gauche, que j'ai soutenus aussi, des syndicats ou même des journalistes. Il y a un amalgame systématique qui est fait entre ceux qui pratiquent la violence de manière délibérée et ceux qui ne condamnent pas, car il y a une opposition dialectique entre deux types de violence : celle de l’État espagnol et celle des Basques. Moi je ne suis pas militant, je fais de la musique et je risque dix ans de prison maximum.

Est-ce que vous assumez ce qu'on vous reproche ?

P.S. : Moi j'assume ce que je dis. Le droit à l'hospitalité est pour moi un droit fondamental que l’État français reconnaît, sauf qu'il est en train d'y déroger de temps en temps avec les migrants, que je préfère appeler les réfugiés politiques ou économiques. Moi je suis délinquant dans cette idée d'hospitalité. Si c'était à refaire, je le referais, mais ça ne se passera pas. Je reste convaincu de ce que j'ai fait. C'est un problème humanitaire. Il y a des gens qui risquent la torture, des gens qui sont en cavale certes... Mais il fallait quoi ? Que j'aille à la police les dénoncer ? C'est ça la solution ? Il faut me le dire dans ce cas-là.

Comment vous sentez-vous à la veille du procès ?

P.S. : Je n'ai pas de haine. Je l'ai dit à l'ancienne juge d'instruction qui s'est carapatée et qui n'a pas fini le dossier. Je n'ai pas de haine parce que la haine ne sert à rien. C'est de la lutte armée contre soi-même. C'est comme l'alcool, cela ne sert à rien. Je suis un homme d'honneur. Je ne suis même pas obligé d'aller à ce procès. J'y vais car je suis droit dans mes bottes. Je suis droit comme je vous regarde aujourd'hui. Au procès, je vais dire la même chose. Je n'ai pas de raison de me cacher. Je suis un homme public. Je ne donne pas des concerts sur un champ de mines. Je viens quand on m'appelle, quand on me le demande gentiment avec le sourire. Pas besoin d'envoyer les tortues ninjas. Je le répète, je n'ai pas de raisons de me cacher. J'aurai pu aller à la plage à Biarritz, ou à la fête de la musique à Ordiarp. Je suis quand même en colère. C'est 14 ans de violence, 14 ans de condescendance, et 14 ans de mépris. Alors moi, je m'en fiche. Mais c'est vis-à-vis des gens qui m'accompagnent, notamment de la part de mon avocat, Maître Blanco. Je vous cite un seul exemple.

En 2005, je suis allé devant le juge de détention et de liberté. La procureure intervient et parle de trouble à l'ordre public, et demande la reconduction du mandat de dépôt de quatre mois. J'interviens, mon avocat plaide, et la procureure prend le journal et se met à lire le Courrier International dans le genre "cause toujours tu m'intéresses". On est dans un corps constitué avec le juge et le procureur. C'est ça la France? C'est ça la justice équitable ? C'est une succession d'événements comme ça pendant quatorze ans. C'est une mascarade ce procès.

Les 16 mois d'incarcération et les six années passées en libération conditionnelle, ont-ils eu, et ont-ils encore des répercussions sur votre carrière de chanteur et dans votre vie privée ?

P.S. : Dans ma vie privée, bien sûr, puisque j'ai passé seize mois à demander à avoir accès à la musique. J'ai passé sept mois en isolement. J'arrive en mai 2005 à la prison d'Angoulême et je sais qu'il y a un endroit avec plein d'instruments de musique. Avant l'été, je n'ai pas eu de réponse. On m'octroie finalement trois heures de musique dans un endroit qui est derrière le bureau du chef de détention où il y a un piano, des guitares et de quoi faire de la musique.

J'ai demandé davantage d'heures, et j'en ai eu dix. J'ai écrit pratiquement tout le disque Naiz là-bas. J'ai aussi proposé de donner des cours à des gens emprisonnés. Ensuite, c'est six ans de contrôle judicaire. Je suis obligé d'aller toutes les semaines pointer à la gendarmerie. Je ne peux pas sortir du territoire métropolitain entre le 6 février 2006 et fin décembre 2011, alors que je donnais des concerts à l'étranger. Depuis, je peux, sauf qu'en huit ans, on vous oublie. C'est très compliqué d'aller faire des concerts à l'étranger. J'ai perdu beaucoup de temps, d'énergie et de travail. C'est une atteinte à la liberté du travail.

Comment voyez-vous le fait d'être jugé dans une affaire liée à ETA, quatorze ans après, alors que l'organisation n'existe plus ?

P.S. : Fin novembre 2017, je reçois une lettre d'un Monsieur. C'est une ordonnance de maintien sous contrôle judicaire. Elle est signée de Monsieur Claude Choquet, premier vice-président chargé de l'instruction du tribunal de grande instance de Paris. On est le 30 novembre 2017 et il m'écrit : "attendu que les obligations du contrôle judicaire sont de nature à éviter le renouvellement de l'infraction… ordonnons le maitien du contrôle judicaire du mis en examen jusqu'à sa comparution devant le tribunal". Peut-être qu'il ne lit pas la presse. ETA a rendu les armes en avril et a arrêté la lutte armée à l'automne 2011.

Cette lettre, ça montre bien que ce n'est pas très sérieux. Nous sommes des gens adultes. Petite leçon d'histoire. Ces 40 dernières années, nous avons accueilli en France le Shah d'Iran qui n'était pas un grand démocrate. On a accuelli l'ayatollah Romeni. On a fait à l'époque de Monsieur François Mitterrand, un attentat contre le Rainbow Warrior, ce bateau de Greenpeace. Les époux Turange ont fait l'actualité à l'époque. Ils ont fait six mois de relégation et ils sont revenus à la vie active. Moi je n'ai pas commis de meurtre, je fais 16 mois de prison, six ans de contrôle judicaire et j'attends encore six ans pour être jugé. C'est une mascarade et du déni de justice.

Comment percevez-vous le processus de paix au Pays Basque ?

P.S. : Je n'ai pas d'avis autorisé. Je veux simplement dire que je suis heureux. Certains spéculent, qu'on a été vaincus... Non, c'est une fin de cycle. Il faut être intelligent. Si vous regardez l'histoire du monde, début du XXème siècle, vous avez cinq puissances qui managent le monde : la France, l'Espagne, le Portugal, le Royaume-Uni et la Hollande. En 1945, il y avait 51 pays. Aujourd'hui, sauf erreur, on est à 197 pays. Ça veut dire qu'en 70 ans, il y a quatre fois plus de pays. Les Basques, les Bretons et les Corses, nous sommes dans le sens de l'Histoire. On demande le droit d'exister. Ce n'est pas saugrenu au vu de ce qui existe déjà.

Pour revenir au Pays Basque, je pense que des erreurs ont été commises, mais ce n'est pas à moi de le dire. Quand l'ETA s'attaquait à des gens comme les policiers et les militaires, personne ne bougeait. C'est dès lors qu'ils ont attaqué Monsieur Blanco du Parti Populaire que ça a changé. On peut ne pas être d'accord politiquement, mais ce sont des gens qui ont été élus. Alors, est-ce-qu'il faut tuer les policiers pour autant ? Non. C'est une force militaire qui sert un Etat, un Etat occupant. Mais je ne cautionne pas la violence. Quand vous n'êtes pas d'accord politiquement, il faut aller plaider, batailler avec eux.

Aujourd'hui je reste confiant. On n'a pas d'autre solution. Il va falloir se battre avec des mots et je pense avec un peu d'humour. Léo Ferré disait : "Les armes et les mots, c'est pareil."