Goizeder TABERNA

Serge Portelli : “La justice française et la justice espagnole ne pourront pas ignorer cette évolution”

Président de chambre à la Cour d'appel de Versailles, Serge Portelli est également membre de la Commission des juristes pour la paix au Pays Basque. Il a accueilli la dernière déclaration d’ETA avec émotion et regarde déjà vers l’étape suivante : la mise en place d’un espace de parole, une sorte de commission de la vérité.

Serge Portelli à Biarritz © Isabelle Miquelestorena
Serge Portelli à Biarritz © Isabelle Miquelestorena

Quelle a été votre première réaction à la lecture du communiqué ? Vous attendiez-vous à ce type de déclaration de la part d'ETA ?

Serge Portelli : Ma première réaction a été une immense émotion. Je m’attendais à ce type de déclaration, mais je ne pensais pas qu’elle serait aussi juste et aussi forte. Cette prise de position est la résultante d’une longue évolution qui, au-delà de l’ETA, concerne l’ensemble du conflit basque et surtout le peuple basque. Elle donne un nouveau sens à l’histoire, aux engagements de beaucoup, à des souffrances terribles et à la vie qui se poursuit. Elle est pour moi et pour tant d’autres une source d’espoir.

ETA appelle tous les acteurs du conflit à faire le même exercice de reconnaissance des préjudices causés qu’elle vient de réaliser. Qu'en pensez-vous ?

S. P. :  Nous sommes engagés dans un processus de paix irréversible qui a commencé en octobre 2011 par la Conférence d’Aiete. Il exige plus que jamais lucidité et humanité. C’est ce qui ressort à l’évidence de la déclaration de l’ETA. Un vaste, difficile et passionnant chantier va débuter : écrire à plusieurs voix l’histoire de ce conflit et donner à tous, absolument à tous, la parole. Tel était d’ailleurs le sens du forum qui avait été organisé par Bake Bidea et les Artisans de la Paix les 6 et 7 avril derniers.

Il va falloir inventer et organiser un espace de parole inspiré des commissions vérité et réconciliation qui ont fait leurs preuves dans beaucoup de pays sortis de périodes de guerre et de conflit pour construire la paix. Le peuple basque a fait preuve d’une telle intelligence que je suis certain qu’il va y parvenir malgré nombre de difficultés. Nous sommes nombreux à vouloir l’y aider et notamment la Commission des juristes pour la paix au Pays Basque à laquelle je participe.

Quelle répercussion pourrait avoir cette déclaration dans les tribunaux ? Est-ce que nous pourrions nous attendre à des mesures de justice en adéquation avec le nouveau contexte ?

S. P. : La justice française et la justice espagnole ne pourront pas ignorer cette évolution. Elle répond très exactement aux préoccupations des magistrats qui statuent actuellement sur les demandes des prisonniers basques. Je souhaite que, dans la logique de leur jurisprudence, ils actent le pardon qui vient d’être exprimé et en tirent les conséquences.