Bénédicte Saint-André

La sculpture symbolisant le désarmement d’ETA ne fait pas l’unanimité

Vingt-trois élus bayonnais, de la majorité comme de l'opposition, n'ont pas pris part au vote concernant l’érection de cette œuvre ce 8 avril au Petit Bayonne.

La sculpture, en cours d'installation, est de Koldobika Jauregi © Bob Edme
La sculpture, en cours d'installation, est de Koldobika Jauregi © Bob Edme

Au conseil municipal ce jeudi, le maire de Bayonne Jean-René Etchegaray a soumis au vote le don par Bake Bidea de l’œuvre "Arbolaren egia", "la vérité de l'arbre" en basque. Cette sculpture monumentale, de 8 mètres de haut, sera inaugurée sur le quai Chaho devant la faculté de Bayonne, ce 8 avril, un an après le désarmement d’ETA. Le but étant que la force symbolique de l'œuvre permette de "continuer d’imaginer les voies et les moyens d’un vivre-ensemble pérenne et encourager la démarche de reconstruction".

Mais, la démarche a heurté certains élus de l’opposition comme de la majorité et la délibération a été adoptée de justesse, dans une ambiance tendue, 23 élus ayant voté pour, 20 n'ayant pas participé au vote. Le groupe d’opposition de gauche BVO a choisi collectivement de ne pas participer au vote, tout en précisant être favorable au processus de paix.

Le conseiller régional Génération.s Mathieu Bergé s’est exprimé le premier, non sans émotion. "Nous devons écrire l’histoire ensemble et non la réécrire chacun de notre côté, chacun de notre côté de la frontière ou chacun dans son camp". Il a fait siens les mots de Gorka Landaburu, journaliste gravement blessé par un colis piégé d'ETA, "c'est peut-être trop tôt et peut-être pas le bon symbole". L'œuvre représente en effet une hâche enterrée, emblème d'ETA, dont le manche fait émerger un arbre, symbole de paix.

Pas le bon moment 

Le communiste Alain Duzert a été le plus virulent. "J’ai pour habitude de respecter les créations artistiques, mais la mise en scène de celle-ci est clairement destinée à servir des manœuvres et des intentions politiques partisanes et très discutables". A l'instar de Fernando Aramburu, auteur du succès de librairie "Patria", roman revenant sur les années de plomb au Pays Basque Sud, il dit "douter de l'impartialité des Artisans de la paix".

Colette Capdevielle, députée socialiste au moment du désarmement, a salué l'idée mais aurait souhaité que la réflexion soit plus longuement mûrie et de manière collective, via un concours d'artistes par exemple. Selon Henri Etcheto, chef de file du groupe, le moment appelle à "moins d'ostentation et plus de pudeur".

Dans les rangs de la majorité, l'ensemble des membres issus de la liste de Sylvie Durruty, hormis Michel Soroste, n'ont pas pris part au vote. "L'œuvre est démesurée, triomphante, alors que nous devons être humbles", a estimé Philippe Escapil Inchauspé. "Ce rapport me perturbe énormément, je ne peux y souscrire", a déclaré Alain Esmieu. "Les cicatrices sont encore ouvertes, comme le prouvent les débats ce soir, le temps doit passer avant de commémorer", selon Maurice Lalanne.

"C'est le symbole de la paix"

L'abertzale Jean-Claude Iriart a lui pris la parole pour défendre une telle initiative. "Y a-t-il un symbole plus fort que de poser les armes quand on cherche à construire un territoire pacifié ? Je pense que c’est opportun, on a besoin de commémorer des événements historiques au sein même de la Ville où cela s'est déroulé".

Le centriste Etienne Boutonnet, le plus jeune conseiller municipal,  a abondé en ce sens, également ému. "C'est la victoire de tout le monde quand des engins de mort sont rendus. Je ne comprends pas qu'on ne puisse pas vouloir célébrer le fait que ces armes aient été rendues. Ce sont des vies qui ont été ainsi sauvées".

Quant à Jean-René Etchegaray, il a déclaré : "Il fallait Luhuso, il fallait le 8 avril et il faut cette sculpture. Si ETA est aujourd'hui en train de se dissoudre, croyez-vous que ce soit arrivé comme ça ? Cette sculpture est un signe de la lecture historique et politique qu'on fait de la situation. C'est trop tôt ? Ce n'est pas le bon symbole ? Et bien c'est le symbole de la paix".

Installation provisoire le 8 avril

Alors qu'il vient de rencontrer l'association de victimes Covite, il a réaffirmé que cette sculpture n'était en aucun cas "la négation des souffrances des victimes", avant d'appeler chacun à voter selon sa conscience. "L'histoire dira si vous avez raison ou pas". Une réflexion qui n'a pas plu à Mathieu Bergé :  "Il y a un an, vous étiez à la hauteur de l'Histoire. Ce soir, en prétendant qu'être contre cette statue est être contre le processus de paix, vous ne l'êtes pas".

La sculpture, critiquée par certaines associations de victimes au sud des Pyrénées, sera inaugurée ce 8 avril, de manière provisoire pour des raisons techniques. Elle sera ensuite finalisée et vraisemblablement réinstallée définitivement au moment de la dissolution d'ETA, qui interviendra dans les prochaines semaines.