Kattin CHILIBOLOST

Il est peut-être tard pour certains, mais temps pour le Pays Basque

Dispersion et éloignement des détenus basques sont vécus comme une double peine par les familles. Elles attendent beaucoup du processus de paix en cours.

A l'autre bout du fil Zigor Goieaskoetxea éternue. Ursoa Parot tousse. Mais ces maux du quotidien guérissent vite. Zigor a attrapé froid à Arles, en allant rendre visite à un de ses frères, Ibon, détenu depuis sept ans. Transféré l'an dernier de la prison de Valence, ce dernier n'est plus au mitard. Mais on ne peux pas dire qu'il aille bien. “Il continue à résister comme il peut. Ibon ira bien lorsqu'il sera de retour, auprès des siens”, tranche son frère qui se prépare maintenant à effectuer un voyage de 24 heures pour rendre visite à son autre frère Eneko, qu’il ne pourra voir que 40 minutes seulement.

Eneko est retenu à la prison de Pontevedra, en Galice, où il purge une peine de 161 ans, selon le dernier jugement rendu en novembre. Une condamnation reposant sur des déclarations obtenues sous la torture. Présent à Marseille, à l’occasion du tour des prisons, Zigor témoignait de la double peine infligée aux détenus basques et à leurs familles : dispersion et éloignement. Des mesures qui ont privé le père d'Eneko et Ibon, décédé il y a quelques mois à peine, de voir ses fils durant ces quatre dernières années.

Ursoa Parot a suivi le début du tour des prisons à Toulouse et Lannemezan. Elle y a attrapé froid mais en revient le moral renforcé. “C'était intéressant de discuter avec des élus de la France insoumise. Pour eux aussi, je crois.” Ils ont discuté politique, et de la situation des détenus basques. Et dans un contexte où la revendication du droit à décider catalan résonne dans tous les médias, de la réminiscence du franquisme. “C'est un conflit non résolu, qui pourrit, et perdure. Pour situer le cœur du problème”, affirme Ursoa. “Je leur ai expliqué pour quels faits ils sont condamnés. Pour que les gens se solidarisent, c'est important de savoir à qui ils ont à faire”, insiste-t-elle.

En avril prochain, cela fera 28 ans que deux frères d'Ursoa, Unai et Ion Kepa sont en prison. Respectivement à Cadiz et à Muret. Ils ont été condamnés pour des attentats commis contre un dirigeant de la division Azul France-nazie pour l'un, et contre le président du tribunal de Orden Publico “qui exécutait les opposants au régime franquiste” pour l'autre. A 59 ans, Unai est condamné à une peine de 40 ans. La demande de semi-liberté de Ion Kepa sera examinée le 21 décembre. Si elle est acceptée, il sortira avec un bracelet électronique, dormira en prison le soir et y retournera les week-ends. Il aura aussi l’interdiction de retourner au Pays Basque durant cinq ans. “Soit encore sept ans d'exil…”. “Ce sont des droits minimums pour un être humain que nous demandons”, précise Ursoa. “Ce n'est pas grand chose.” Mais le “pas grand chose” est précieux. Du moins pour pouvoir “souffler un peu”.

Le mal est fait

Ursoa ignore si elle doit interpréter des signes favorbales à l'amélioration des conditions des détenus. “On verra cela le 21 décembre”. Et même si la réponse du tribunal spécial leur était favorable, le mal est fait. “Après 28 ans de prison, les dégâts sont faits”. Et touchent aussi leurs enfants et la famille. “Il est peut-être tard pour nous. Mais pas pour Euskal Herri”, conclut-elle. Et Zigor d'ajouter : “Ce qui est fait jusqu'à maintenant est très bien. Mais. il faut maintenant des réponses. Et des actes.” Des détenus basques meurent en prison. D'autres sont gravement malades. Beaucoup sont libérables, et tous peuvent être rapprochés. “Il s'agit là de la simple application de la loi. Pas grand chose, mais le strict minimum, pour les détenus tout autant que pour ceux qui les attendent dehors.” Zigor ira manifester à Paris le 9 décembre. Ursoa non. Elle doit veiller sur sa mère, âgée de 90 ans, privée de ses fils qu’elle n'a pas vu depuis 10 ans.

C’est le nombre de détenus basques qui pourraient être libérés par la simple application de la loi en vigueur. Vingt-et-un sont gravement malades, et huit cumulant des condamnations prononcées par des tribunaux français et espagnols pourraient bénéficier d’une confusion de leurs peines. 34 détenus sont en prison depuis 20 ans, et 20 détenus ont plus de 60 ans.

Le nombre de Basques placés en détention à ce jour. Seuls deux d’entre eux sont incarcérés au Pays Basque, selon le rapport rendu en octobre dernier. Les autres sont dispersés dans 20 prisons françaises et 40 geôles espagnoles. Deux Basques sont également détenus en Allemagne, un au Portugal et un au Brésil. Cinq accomplissent leur peine chez eux.

Le nombre de cas de tortures pratiqués au Pays Basque entre 1960-2013 et reconnus par le gouvernement basque. D’autres études menées par des associations citent plus de 5 000 cas. La plupart de ces actes ont eu lieu dans les années 1980, pour lesquels le rapport recense 1 184 cas. Commis par la police espagnole, la Guardia Civil, et l’Ertzaintza.