Virginie BHAT

Ça chauffe dans les forêts des Pyrénées

À partir de ce mardi 7 novembre et jusqu'à demain, mercredi 8 novembre, l'Observatoire pyrénéen du changement climatique (OPCC) organise le 2e colloque international sur le thème du changement climatique en zones de montagne, Pyradapt 2017, au Palais des congrès Bellevue à Biarritz.

"C’est seulement deux ans après que la forêt des Pyrénées a répondu à la grande sécheresse de 2003. Nous avons alors observé une défoliation des arbres, certains étaient devenus secs sur pied. C’est ce que nous appelons le phénomène de dépérissement”, pointe du doigt Sébastien Chauvin, directeur de Forespir, groupement d’acteurs forestiers français, espagnols et andorrans créé en 1999, tous investis dans la coopération transfrontalière au service des forêts pyrénéennes.

Les climato-sceptiques ont beau remettre en question – quand ils ne le nient pas - le réchauffement climatique, les hommes de terrain s’interrogent devant des phénomènes inhabituels dans leur environnement. A l’instar des forestiers pyrénéens : “Nous avions plutôt un ressenti : nous manquions de données empiriques”, poursuit Sébastien Chauvin. Mais l’inquiétude taraude d’autant que dans le massif la forêt couvre 44 % du versant nord et 61 % du versant sud. Une forêt ici multifonctionnelle : économique avec la production de bois, environnementale comme réceptacle de la biodiversité, sociale entre les promeneurs, les chasseurs et les cueilleurs de champignons. Enfin elle protège de risques naturels : barrière contre les chutes de blocs ou soutien du manteau neigeux...

Des eaux qui montent et s’acidifient, des températures qui chauffent, des glaciers qui fondent, des précipitations qui tombent plus drues... Le changement du climat induit par les activités humaines tape sur tout. Même la forêt. Depuis 1850, le monde scientifique constate une tendance claire de ce réchauffement, et même son accélération. Au siècle dernier, la température moyenne du globe a augmenté d'environ 0,6° C et celle du territoire français métropolitain de plus de 1° C. Et les dernières informations sur le sujet ne sont pas bonnes. Loin de là. Selon l’Organisation météorologique mondiale qui a édité un bulletin ce lundi, la concentration en CO2 dans l’atmosphère a battu tous les records de ces 800 000 dernières années en 2016. En cause : la conjonction des activités humaines et d’un puissant phénomène El Niño. “Si l’on ne réduit pas rapidement les émissions de gaz à effet de serre, et notamment de CO2, nous allons au-devant d’une hausse dangereuse de la température d’ici la fin du siècle, bien au-delà de la cible fixée dans l’Accord de Paris sur le climat”, a averti Petteri Taalas, secrétaire général de l’OMM. Et d’ajouter : “Les générations à venir hériteront d’une planète nettement moins hospitalière”.

Comme les Pyrénées ne vivent pas sous une cloche, à l’abri de ces heurts climatiques, la Communauté de travail des Pyrénées installe en 2010 un Observatoire pyrénéen du changement climatique, l’OPCC. Avec une feuille de route : appréhender les conséquences de ce changement climatique dans le massif, en limiter les impacts et s’y adapter. La forêt devient l’un de ses champs d’investigations.

Cinq ans après sa création, l’OPCC livrait les premières conclusions des études mises en place sous sa houlette. Le massif pyrénéen n’est pas épargné : l’évolution climatique récente, entre 1950 et 2010, montre une augmentation de la température moyenne du massif de 0,21°C par décennie, avec des valeurs légèrement plus marquées sur le versant sud. Quant aux précipitations, même si l’on observe une forte variation interannuelle, une perte de 2,5 % par décennie à été mise en évidence (-3,7 % sur le versant sud).

Pas de raison que le massif forestier, chênes, hêtres, pins à crochet, sapins et pins sylvestres...n’ait pas aussi son coup de chaud. Alors pour prendre sa température, les forestiers et l’OPCC ont lancé le suivi de trois indicateurs pour évaluer, rigueur scientifique à la clef, les séquelles du changement climatique sur leur forêt.

Dès 2013, ils mettaient en place un suivi de la phénologie. “Il s’agit de suivre la date de débourrement, soit le moment où les bourgeons deviennent des feuilles. De sept placettes d’observation dans le piémont, nous sommes passés à 51 à l’échelle pyrénéenne”, explique Sébastien Chauvin. Pas de doute sur l’impact de la météo sur les arbres pyrénéens : débourrements très tardifs, surtout du chêne et du sapin en 2013, une année particulièrement froide alors que la grande douceur du printemps 2015, comme 2014, a au contraire entraîné des débourrements précoces de la végétation.

“Nous suivons aussi la défoliation des arbres, c’est-à-dire la perte de leurs feuilles.” Forts de données remontant à 1997, les scientifiques ont pu les analyser par essence, par altitude sur 154 placettes françaises, 98 autres espagnoles et 11 andorranes. Les premières conclusions sont alarmantes : “Avant 2003 et cette grande sécheresse, une majorité de placettes étaient peu dépérissantes”, commente le responsable de Forespir qui relève par contre une accélération du phénomène après cette année sèche. Au fil des ans, les arbres perdent de plus en plus leurs feuilles. Après 2009, le nombre de placettes entre 40 et 60 % de déficit foliaire devient significatif et en constante augmentation. A la clef, “les placettes méditerranéennes semblent les plus touchées. Et ce sont les feuillus pourtant thermophiles tel le chêne-liège les plus impactés”.

La perte de feuilles n’est pas le seul coup du réchauffement climatique sur le massif forestier pyrénéen. Pour y échapper, certaines essences montent en altitude pour y retrouver les conditions optimales à leur développement. C’est ainsi que le hêtre, qui a besoin de froid hivernal et d'humidité, a grignoté plus de cent mètres en quarante ans, passant de 420 mètres en 1970 à 550 mètres en 2010… Face au changement du climat, si les arbres ont des armes de défense, pas sûr que ces stratégies suffisent à assurer leur pérennité dans les Pyrénées. Pour les soutenir, les acteurs forestiers, de part et d’autre du massif, poursuivent leurs suivis, renforcés en 2016 par le projet Canopée sur trois ans, dans le cadre de l’OPCC. Le but : développer des stratégies de gestion adaptative qui seront expérimentées sur huit sites différents. “Un l’est déjà en Aragon sur une sapinière.” Alléger les densités de plantation, mélanger les essences... Autant d’actions qui permettront peut-être de sauvegarder les fonctions des forêts pyrénéennes dans les prochaines décennies. Le Forespir livrera ses dernières pistes de travail lors du colloque Pyradapt 2017 ce 8 novembre à Biarritz.

Réchaufffement à la loupe

Tandis que la COP 23 sur les changements climatiques tiendra sa conférence à Bonn du 6 au 17 novembre, l'OPCC organise de son côté, ces 7 et 8 novembre, le 2e colloque international sur le thème du changement climatique en zones de montagne, Pyradapt 2017, au Palais des congrès Bellevue à Biarritz. Au menu, échanges entre les scientifiques et les techniciens des instituts de recherche, collectivités, associations… pour “actualiser et faire évoluer l’état des connaissances sur le changement climatique en zones de montagne et réfléchir comment les Pyrénées peuvent s’adapter à ses effets”. Les conclusions du colloque seront justement présentées le lendemain toujours au Bellevue lors du conseil plénier de la CTP, présidée depuis deux ans par la Nouvelle-Aquitaine. Alain Rousset, son président, passera le témoin de cette présidence du CTP à son homologue d’Aragon, Javier Lambán. Y seront aussi présentés la feuille de route pour les cinq prochaines années et les résultats du 2e appel à projets du programme de coopération territoriale européenne Interreg V A Espagne-France-Andorre (Poctefa 2014-2020).