Goizeder TABERNA

Le peuple catalan a déjà dit ce qu’il est

"Dans le jeu d’échec qui se joue entre les deux entités politiques, le 10 octobre, la Catalogne a déplacé le fou. L’Etat espagnol a déjà bougé le roi,une pièce capitale sur l’échiquier mais vulnérable"

Le temps du dialogue est un risque à prendre. En retardant la mise en œuvre de la déclaration d’indépendance signée le 10 octobre, la Catalogne a beaucoup à perdre. Notamment, la cohésion obtenue dans la famille indépendantiste, et la confiance de plus de 2 millions d’électeurs qui avaient bravé l’interdiction, dans la violence, de l’Etat espagnol. Mais elle a aussi beaucoup à gagner, si cette décision tactique permet de concrétiser le mandat que le peuple catalan a attribué à ses dirigeants. Ce qui est sûr, c’est qu’elle a réussi à maintenir le consensus obtenu lors du référendum. La satisfaction exprimée par le maire de Barcelone (Podemos) le soir même en est la preuve.

L’annonce a tout de même surpris, elle a provoqué quelques instants de confusion. On s’attendait à la déclaration solennelle d’indépendance. Certains l’ont perçue comme un pas en arrière. Or, les processus d’émancipation menés dans d’autres pays européens montrent qu’il y a toujours eu une période de quelques mois entre le référendum et la reconnaissance d’un Etat. Le cas de la Slovénie est souvent évoqué ces derniers temps. En 1991, le parlement avait engagé le processus de “dissociation” vis-à-vis de la Yougoslavie, dont l’effet se concrétiserait au plus tard au bout de six mois. Lituanie, Lettonie, Estonie, dans chaque cas, le rythme du processus s’est adapté à la réalité du pays, mais dans aucun d’entre eux la proclamation d’indépendance a eu un effet immédiat.

Pour que le temps que s’est octroyé l’exécutif catalan porte ses fruits, l’engagement des acteurs politiques européens sera important. Ce n’est pas gagné, dans cette Europe qui craint son émiettement. Néanmoins, Carles Puigdemont a réussi à internationaliser la question catalane et la communauté internationale peut voir dans son discours une main tendue. A la longue, cette situation pourrait isoler un Etat campé sur ses positions. Au lendemain de la session parlementaire, ce dernier se dit prêt à activer l’article 155 de la constitution qui permet de prendre le contrôle de la région. Une option qui ne ferait que rendre plus difficile le dialogue. Le dirigeant indépendantiste catalan d’ANC Jordi Sanchez le disait dans les colonnes du Monde : “Il n’y a pas d’autre voie que celle d’un référendum négocié avec l’Etat espagnol”.

Dans le jeu d’échec qui se joue entre les deux entités politiques, le 10 octobre, la Catalogne a déplacé le fou. L’Etat espagnol a déjà bougé le roi, une pièce capitale sur l’échiquier mais vulnérable. En mettant en scène une position ferme et fermée de l’Etat à travers son incarnation, le roi Felipe VI, Madrid a éloigné l’issue de ce conflit et s’est mis en danger. Jusque-là retranché derrière la bannière de la légalité, à un moment donné, l’Etat devra reconnaître la légitimité du peuple catalan à décider ce qu’il veut être.

Sans attendre ce jour, ce dernier a déjà dit ce qu’il est. Il est cette capacité collective de transformation dont il a fait preuve ces derniers mois, qui illustre parfaitement la formule d’Eduardo Galeano : “Somos le que hacemos para cambiar lo que somos”, nous sommes ce que nous faisons pour changer ce que nous sommes. Un élan à la portée de tout un chacun.

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