Argitxu Dufau

"Amama" veut rompre le silence

Le film "Amama" du réalisateur Asier Altuna est diffusé au Pays Basque Nord depuis jeudi 14 janvier, une oeuvre bouleversante sur la fracture entre deux générations. A travers l'intimité de cette famille basque Asier Altuna entre dans la nôtre.

"Amama"
"Amama"

"Amama", du réalisateur Asier Altuna, a été présenté en avant-première mercredi 13 janvier au cinéma Itsas Mendi d'Urrugne, devant un public à la fois conquis et ému. Tous les éléments sont rassemblés pour toucher le spectateur au plus profond de lui-même, l'interroger sur son identité, son rôle et sa place dans la famille. Le tout sur fond d'héritage et de sauvegarde des racines.

Dans une ferme en plein cœur du Pays Basque, un conflit intergénérationnel éclate. Ce film montre la cassure entre deux générations qui n'ont ni les mêmes priorités, ni la même façon de les exprimer. Les acteurs sont saisissant de justesse, en particulier le père et la grand-mère. Les scènes, par moment filmées de manière expérimentale, émeuvent aux larmes. Et la symbolique est remarquable.

Depuis le néolithique, il y a 80 générations de cela, ou plutôt comme disait Jorge Oteiza "80 amama", la ferme et les savoir-faire se transmettent de génération en génération. Parce que c'est comme ça, et qu'on ne parle pas de ces choses-là. Mais... crac, une génération coupe la corde qui la relie à la précédente, au sens physique du terme.

Les plus jeunes veulent se défaire du mutisme, de l'intériorisation profonde des sentiments et du prédéterminisme. En cette nouvelle ère, il est impossible de leur imposer un rôle sans relief ni contraste, comme si chacun d'entre eux n'était qu'une seule couleur au lieu d'être un arc-en-ciel.

Pour les plus anciens, le silence veut tout dire. Un regard suffit, comme ils l'ont appris quand ils étaient enfants. Mais pour la génération suivante, même si ce silence est compréhensible, ce n'est pas assez, les mots sont indispensables. La grand-mère du film n'en prononcera d'ailleurs pas un seul. Ici, en pardon comme en amour, les preuves ne passent pas par les mots mais par les actes.

L'incommunication est omniprésente, le fossé se creuse entre deux générations qui n'aspirent plus aux mêmes besoins, en mots, en affection, alors qu'il manque si peu pour qu'elles se retrouvent.

Agriculture et travail

Le thème de l'agriculture et du travail est bien sûr central. Son labeur, ses savoir-faire ancestraux, la fierté de la transmission, le sacrifice d'une vie et la déception du rejet de l'héritier. Tant de sensations pour une même génération.

Le père, en apparence si dur, comme on lui apprit à l'être, enchaîne les dictons et les phrases toutes faites, comme s'il ne pouvait pas communiquer autrement, comme si l'improvisation l'effrayait. "C'est la même chose de planter dix ou mille poireaux", "si tu veux être heureux un jour, saoule-toi, une semaine, voyage un an, marie-toi toute la vie, fais un potager"... "ekarri berria" (amènes-en un neuf, en basque) aurait dit mon arrière grand-mère, d'instinct, sans même y penser, si j'avais cassé quelque chose…

Un appel aux souvenirs

Car ce film fait bien appel à nos souvenirs, à nos grands-parents ou arrière-grands-parents parfois si durs mais si tendres quand la carapace est fêlée par un sourire ou une accolade. Les souvenirs d'été dans leurs fermes, au milieu des pommiers, les brebis à rentrer, les pommes de terre à ramasser ou les jeux dans le ruisseau d'à côté.

Par l'histoire intime d'une famille basque, Asier Altuna entre dans l'intimité de chacun, bien au-delà des frontières du Pays Basque.