Pablo Cabeza

Muguruza s'immisce dans "la Guerre"

"Guerra" ("La Guerre") est un singulier mélange de théâtre, de musique et d'arts audiovisuels interrogeant la manière dont les guerres nous sont contées. L'oeuvre, présentée au Teatro Campos (Bilbo), est dirigée par Pepe Miravete. Y participent le Catalan Albert Pla, Fermin Muguruza et Raúl Fernández "Refree". Un nouveau défi pour le polyvalent Muguruza, qualifié de "bête de scène" par le réalisateur.

Guerra © Naiz
Guerra © Naiz

La guerre est la base de cette histoire, conçue par le Catalan Albert Pla, l'un des musiciens les plus charismatiques, imaginatifs et alternatifs de la scène de la péninsule ibérique, ainsi qu'un acteur reconnu. Pepe Miravete est un réalisateur d'expérience, lui-même acteur et producteur de théâtre. Fermin Muguruza incarne la flexibilité artistique, aujourd'hui sans limite.  

"Guerra" naît de l'effervescente activité créatrice d'Albert Pla. Sa genèse : l'idée d'une joute entre rappeurs. Elle prend forme avec quelques chansons, un texte et beaucoup d'images. "Et un jour, alors que nous étions chez lui, en train de cuisiner une samfaina et une bonne centaine de canelloni, il me l'a racontée – explique Pepe Miravete. Et l'a racontée à Carles Mora et Mariona Omedes (aux supports audiovisuels) et a Raúl Fernández "Refree", chargé de la direction musicale. Voici plus ou moins comment l'idée de ce spectacle a germé."

Dès les premiers instants, le spectacle était déjà tout entier dans la tête d'Albert Pla et il le décrit avec précision. Le fil conducteur et le ton sont clairs. Les textes et les chansons se profilent. "Il imagine les vidéos et nous les explique à maintes reprises. Il s'agit alors d'avancer de manière concrète, d'éliminer l'abstraction, d'élaborer une première ébauche qui nous permet d'initier le processus de production", expose Miravete.

Au début de l'année 2015, lorsque la première est confirmée pour la mi-juillet, la frénésie s'installe. De longs séjours s'effectuent dans le quartier général, au milieu d'ordinateurs, à proximité du studio d'enregistrement, à assembler les textes aux chansons, aux vidéos, à la musique pour créer les différentes scènes qui articuleront la dramaturgie de "Guerra". Puis viennent les essais fiévreux, la première représentation, et la grande tournée s'organise.

Depuis le confort de notre canapé, la perception des guerres actuelles tend davantage au clip vidéo ou au film d'action qu'à un évènement physique et réel. Ce qui est lié aux commentateurs, et à la façon dont elles nous sont racontées, c'est cela qui se démarque dans la narration de "Guerra". En éliminant la plupart des sens, la réalité se rétracte et il devient extrêmement difficile de discerner ce qui est véritablement en train de se dérouler. La brèche entre la réalité des choses et le récit qui nous en est fait s'agrandit. La violence se dissipe derrière l'impact d'un titre, ou une image figée. "Lorsque le modèle se répète encore et encore, jusqu'à nous hypnotiser, placidement endormis, le monde se réduit à un match entre les bons et les méchants. Le bon possède la force, et le méchant est celui qui la défie", raconte Miravete.

Il approfondit sa réflexion : "Depuis cette perspective d'observateurs passifs, on nous convainc presque que les guerres sont héroïques, inévitables et nécessaires. Quelle aberration ! La paix universelle a un coût inacceptable pour la branche de l'industrie et de l'armement. Par conséquent : "¡Más madera!, es la guerra!". Quelle bêtise ! Dans les cendres de ce bûcher, nous recueillons les témoignages et souhaitons raconter notre guerre, comment nous la percevons." Mais le réalisateur précise qu'ils ne raconteront pas la vérité, qu'il ne s'agit pas de leur demander des explications. "Notre travail de marionnettistes nous permet seulement de partir à la recherche d'émotions qui nous fassent réfléchir, et d'essayer de trouver la catharsis. Le reste ne repose pas entre nos mains."

"Guerra" est un spectacle global, dans lequel ils utilisent tous les moyens à leur portée pour raconter une histoire et réfléchir à voix haute à nos préoccupations. L'oeuvre théâtrale, incluant des parties chantées, est définie comme musicale, mais la façon de conter, l'utilisation narrative de la musique et de la vidéo transforment "Guerra" en un spectacle hors catégorie. Le direct est donc la meilleure formule pour comprendre la trame tissée par près de quinze spécialistes.

Les images de de "Guerra" sont fondamentales pour visualiser ce que l'équipe de professionnels a imaginé, dans l'intention de les rendre aussi compréhensibles à ses coproducteurs, qu'au festival grec de Barcelone, qu'au public. Les supports audiovisuels endossent le premier rôle de cette proposition scénique, aussi bien utilisés pour créer des espaces (scénographie) que pour réaliser un film.

Muguruza

Raúl Fernández Refree, musicien éclectique, producteur et compositeur de bandes son, est l'une des premières cartes abattues par Pla pour former son équipe. La musique de Refree sert de base, elle marque le rythme, le temps pendant lequel se succèdent les choses. Une vision personnelle qui imprègne entièrement l'oeuvre, de façon efficace.

Fermin Muguruza a été quasiment incorporé à la fin du projet. "Ce personnage était pour lui, ainsi l'a voulu le destin. Nos calendriers ont pu coïncider. Pla, Muguruza et Refree forment un trio d'as. Tous trois débordent de manière notable de l'exercice de leur profession et ne sont pas là pour perdre leur temps. Quand ils se réunissent, c'est pour construire quelque chose de vraiment intéressant".

"L'expérience a été facile pour Fermin. Bien que sa trajectoire paraisse éloignée du théâtre, son expérience des planches a été très utile pour donner vie à son personnage, 'la ville'. Les paroles de ses chansons ont été vitales pour recréer l'antagonisme de 'l'armée', interprétée par Albert Pla. Une poésie crue, directe, de vérité. Du Muguruza à l'état pur. Au début, quand il ne se sentait pas dans son environnement, il observait, interrogeait, donnait son opinion… Peu à peu, en mémorisant et en pratiquant, il a compris comment se déplacer, jusqu'à se sentir comme un poisson dans l'eau. Fermin est une bête de scène, quelque soit la situation", explique le réalisateur avec enthousiasme.

Les trente-cinq années d'expérience professionnelle au compteur de Miravete lui ont permis d'endosser de nombreuses casquettes : acteur, réalisateur, producteur, programmateur… Il atteint la notoriété avec l'adaptation, la production et la réalisation de "Makinavaja" en 1989. A l'époque, il était principalement relié au théâtre, sa première passion, réalisant ou interprétant, parfois les deux, de sporadiques collaborations au cinéma et à la télévision.

Parmi ses derniers travaux, il a signé le spectacle "Del deporte también se sale", a joué dans deux épisodes de la série "Águila Roja", les courts-métrages "Nube" et "Tripoman". Il a participé à un autre spectacle musico-théâtral avec Pla, "Manifestación".

A propos de sa relation avec Pla, Miravete explique que, connaissant sa musique, il s'est un jour rendu à l'un de ses concerts et en est ressorti impressionné. A tel point qu'il y est retourné et lui a proposé d'interpréter le rôle de "Caracuero" (1995). "Du théâtre, pas de chanson. En y repensant aujourd'hui, c'était inconscient mais grâce à son talent, nous nous en sommes bien sortis. Ce fut un travail très intense et productif, d'où est née notre admiration mutuelle."

De nombreuses dates sont prévues pour la tournée de "Guerra", bien que Pla et Muguruza aient été auparavant censurés à maintes reprises.