Argitxu Dufau

Michelle Berthier : "Nous demandons que l'IVG soit un droit fondamental"

Militante féministe "de plus de 60 ans", Michelle Berthier était membre du Mouvement de Libération de l'Avortement et de la Contraception (MLAC) dans les années 70, elle participe activement aujourd'hui au Planning familial de Bayonne.

Michelle Berthier à gauche, aux côtés de Maria-José Arana (Photo : Bob EDME)
Michelle Berthier à gauche, aux côtés de Maria-José Arana (Photo : Bob EDME)

Quelle est l'histoire du Planning familial de Bayonne ?

Michelle Berthier : En 1956, le Planning, c'était la maternité heureuse. L'objectif était d'introduire la contraception en France. Elle était illégale. En 1963, le Planning familial a été créé avec des médecins à Bayonne pour proposer des diaphragmes qu'ils faisaient venir d'Angleterre. C'était un projet pour le contrôle des maternités et pour informer les femmes sur les moyens de contraceptions qui étaient interdits en France. 


Dans les années 1967-1968, il y a eu les mouvements de femmes qui réclamaient en plus de la contraception, le droit à l'IVG. Le Planning familial a pratiqué des IVG de manière clandestine. A l'époque, le docteur Chevalier, en pratiquait rue Pannecau à Bayonne. Il avait comparut devant le tribunal, il risquait la prison. Il avait finalement été relaxé. De fortes mobilisations avaient eu lieu.

Dans les années 80, on a cru que tout était gagné et le Planning à disparu, ici comme ailleurs, au niveau local. Ce n'est qu’en 2009, à l'initiative de Maria José Arana Butron, que le Planning familial a créé une antenne à Bayonne. Il renaît avec une orientation beaucoup plus globale. Le premier axe est toujours l'IVG et la contraception, c'est-à-dire la santé sexuelle de la femme. On rencontre aussi les problèmes de violences faites aux femmes et nous travaillons sur l'égalité homme-femme qui est la source des violences. Sans oublier l'éducation à la sexualité dans les collèges et les lycées.

Quel type d'avortement existe aujourd'hui ?

M. B. : Il y a l'IVG médicamenteuse et l'IVG chirurgicale. Nous orientons les femmes, nous les accueillons. Nous militons également avec une cellule de veille pour la capacité d'IVG à Bayonne et au Pays Basque et tout simplement le droit à la sexualité, parce que nous pensons que c'est politique.

Quel bilan dressez-vous sur la pratique de l'avortement au Pays Basque ?

M. B. : Généralement, cela se passe assez bien tant que nous avons un gynécologue engagé partageant la patientèle avec l'hôpital. Aujourd'hui, les délais sont tout à fait corrects hormis les périodes de vacances scolaires où il peut y avoir des délais de trois semaines.

En 40 ans, les femmes sont à peu près les mêmes. C'est une idée reçue de croire qu'il n'y a que les jeunes qui avortent. De plus, les jeunes aujourd'hui se préservent pas mal. Il y a encore beaucoup de mineures, mais nous avons aussi des trentenaires, voire des femmes, qui arrivé à un certain âge, ne se protègent plus et ont des pépins.


Le délai en France c'est douze semaines. Il y a des dépassements, pour différentes raisons, violences, grossesses qui ne se sont pas signalées, il y a beaucoup de raisons qui font qu'il y a des accidents et il ne faut surtout pas faire culpabiliser les femmes. Il est toujours possible d'aller en Espagne où le délai est de 22 semaines.


Concrètement, où peut-on avorter au Pays Basque  ?

M. B. : A l'hôpital de Bayonne et dans le cabinet d'un gynécologue biarrot, pour tout le Pays Basque. Nous avons la chance d'avoir ce gynécologue qui est un militant. C'est un acte qui n'est pas valorisé financièrement. Malheureusement, il devrait déjà être à la retraite ; il reste pour nous. Toute cette génération de militants des années 70 est en âge de prendre la retraite. Sa patientèle représente entre six et dix IVG par semaine. Lorsqu'il partira à la retraite personne ne prendra sa relève et le surcroît de patientes va incomber à l'hôpital.

Nous l'avons signalé à l'ARS (Agence Régionale de Santé) mais elle n'envisage pas d'accorder de moyens supplémentaires. C'est dramatique. Le problème s'est déja posé dans le sud des Landes donc elles venaient à Bayonne et si le projet de loi sur l'autorisation des parents pour les mineures en Espagne aboutit, il y en aura encore plus.

Et au niveau européen quel regard portez-vous, le droit à l'avortement est-il en danger ?

M. B. : Les opposants à l'avortement sont organisés aujourd'hui. Avant nous avions trois courants et ils étaient peu nombreux : le Vatican, les protestants d'Europe du nord soutenus financièrement par les Etats-Unis et l'extrême droite. Malheureusement, ces trois courants ont fusionné avec "un des nôtres". Ce sont ces derniers qui ont fait jouer le mécanisme de l'initiative citoyenne européenne contre le rapport Estrela.

Ce mécanisme permet avec un million de signatures originaires d'au moins sept pays d'Europe différents de proposer un texte au Parlement européen. C'est ce qu'ont fait ces lobbies pour repousser le rapport Estrela, avec 1 900 000  signatures. Et c'est bien dommage parce que l'objectif du rapport Estrela est de généraliser l'éducation à la sexualité, le droit à l'IVG, le droit à l'homosexualité dans tous les pays d'Europe. C'est un recul énorme.

Ils ont refait jouer ce mécanisme en 2014 pour défendre l'embryon humain. Il s'agit de ne pas utiliser l'embryon humain pour des recherches, pour la santé reproductive par exemple. Et surtout, ne pas détruire l'embryon humain, c'est-à-dire ne pas pratiquer l'IVG. Ils demandaient également aux pays européens de refuser les subventions octroyées à l'égard d'organisations qui directement ou indirectement favorisent l'avortement.


C'était extrêmement important que l'Espagne ait gagné. Si elle avait perdu, c'est toute l'Europe qui voyait le droit à l'IVG menacé.

Vous voulez dire que le droit à l'IVG est encore une lutte aujourd'hui, nos droits pourraient reculer ?

M. B. : Absolument, parce que ce n'est pas un droit européen. Nous demandons que ce soit un droit fondamental inscrit dans le marbre au niveau européen. Pour l'instant le droit à l'avortement n'est qu'une prérogative nationale, c'est ce qui a fait reculer le rapport Estrela. On peut entrer dans l'Union européenne sans garantie du droit à l'avortement. Nous aussi nous voulions faire jouer une initiative citoyenne européenne, pour cela il faut récolter un million de signatures sur sept pays européens mais nous n'étions même pas sûrs de les avoir. Nous en sommes là aujourd'hui.