Anaiz Aguirre Olhagaray

“Ce sont ceux qui ont pillé la mer qui ont les plus gros quotas”

La filière artisanale se bat pour une pêche “durable”, de proximité, et contre la pêche électrique, dont l’interdiction votée en janvier 2018 pourrait prochainement être remise en question par un nouveau vote au Parlement européen.

Pêcher moins, c’est permettre aux stocks de se reconstituer. Mais c’est aussi, à terme, permettre aux pêcheurs de pêcher plus. (Commission européenne, 2009) © Pixabay
Pêcher moins, c’est permettre aux stocks de se reconstituer. Mais c’est aussi, à terme, permettre aux pêcheurs de pêcher plus. (Commission européenne, 2009) © Pixabay

86 % des poissons vendus en supermarché ne sont pas issus de la pêche durable, apprenait-on le 18 décembre. En cause : une pratique industrielle de la pêche, responsable de la surexploitation des ressources marines. Et un partage inégal des quotas. Pourtant, la pêche artisanale représente près de 80 % de la flottille française et européenne. Anne-Marie Vergez, patronne-pêcheuse à Saint-Jean-de-Luz, défend son "jardin" comme elle aime à l’appeler. Un territoire menacé par la pêche à grande échelle, qui rivalise de techniques toujours plus destructrices.

Quelles espèces trouve-t-on encore dans ce "jardin" ? "Le thon, quand il est de passage, ou bien le maquereau", explique Anne-Marie. "Il y a certains poissons qui sont plus ou moins de saison, qui migrent. La louvine aussi. C’est un gros problème, il y a eu une surexploitation énorme sur la louvine et au jour d’aujourd’hui, on ne peut pas forcément en pêcher".

"S’il y a eu quotas, c’est qu’il y a eu surpêche. Et s’il y a eu surpêche, c’est par l’effet de qui ? Pas celui des petits bateaux, mais des grands bateaux. Or les petits paient cet effort-là, parce que nous sommes soumis à des quotas, et parfois, pour certains poissons, on n’en a même pas, notamment pour le thon rouge par exemple", fustige Anne-Marie. "Ce sont ceux qui ont pillé la mer qui ont les plus gros quotas".

Soumis à de très faibles quotas alors qu’ils représentent une écrasante majorité de la flottille de pêche, les artisans pêcheurs portent la revendication d’un accès prioritaire aux quotas. (1)

Armateurs à destruction massive

Qu’est-ce donc qui définit la pêche "durable" ? D’abord, la longueur du bateau. Pour l’Union européenne, la pêche artisanale correspond aux navires de moins de douze mètres et utilise des arts dormants, non des arts traînants. Cette dernière technique, utilisée par les chaluts, consiste à "avancer en tractant un gros filet dans lequel vient s’engouffrer le poisson", décrit Anne-Marie. "Ce qui consomme énormément de gazole".

L’Hexagone fait néanmoins figure d’exception : pour lui, la pêche durable "désigne tout navire de moins de 25 mètres avec armateur embarqué". (2) Dans la filière artisanale, le patron navigue, contrairement aux armateurs de gros chaluts "qui gèrent leur entreprise de terre".

Son jardin, la patronne-pêcheuse luzienne y tient. Car pour les artisans, au-delà de 20 milles, c’est zone interdite. La pêche "durable" est ainsi définie par la norme européenne. "Notre intérêt est que demain, il y ait du poisson, et après-demain, et encore après-demain. Tandis que la grande pêche va venir aujourd’hui piller ton jardin, et elle s’en fiche parce que demain elle ira ailleurs", déplore Anne-Marie.

L’océan électrocuté

"La pêche au chalut n’est pas du tout sélective et engendre d’énormes rejets de poissons morts. En y ajoutant la décharge électrique, on aggrave le phénomène", alerte la patronne-pêcheuse. "Mais ils vont te dire que parce que la pêche électrique consomme éventuellement moins de gazole, elle est durable".

Le but étant d’envoyer des décharges électriques afin de faire sortir notamment les poissons plats, enterrés sous le sable (les soles, les plies, etc.). "Cela peut toucher toutes les espèces. On n’a aucun recul pour savoir si c’est néfaste ou pas, et on se permet de sortir des engins de pêche sans savoir où on va".

Le 18 juin dernier, les pêcheurs de Saint-Jean-de-Luz manifestaient contre la pêche électrique. Un plaidoyer que mène activement l'association Bloom à l’échelle hexagonale.

 

(1) et (2) Source : site internet de l’association Bloom.