MEDIABASK

“Le pays des Kanaks est prêt à s'assumer pleinement”

Responsable des relations internationales du Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste (FLNKS), Mickael Forrest s’est rendu le 8 octobre au Parlement de Gasteiz. A quelques semaines du référendum en Nouvelle-Calédonie, il a accepté de répondre aux questions de MEDIABASK.

Les sondages sur le référendum sur l'autodétermination en Nouvelle-Calédonie laissent pour l'instant penser que le "non" l'emporterait. ©Aurore LUCAS
Les sondages sur le référendum sur l'autodétermination en Nouvelle-Calédonie laissent pour l'instant penser que le "non" l'emporterait. ©Aurore LUCAS

Vous venez de réaliser une tournée en Europe et vous avez rencontré des représentants de différentes nations sans Etat. Quelle est pour vous l’importance du contexte diplomatique ?

Mickael Forrest : En ce qui nous concerne, depuis le 2 décembre 1986, nous sommes inscrits sur la liste des territoires à décoloniser des Nations-Unies. Suite à cela, nous sommes entrés dans une période de 30 ans d'accords politiques, comme les Accords de Matignon en 1988, ou les Accords de Nouméa en 1998. Les premiers étaient des accords de rééquilibrage politique, alors que les seconds étaient un processus de décolonisation.

Aujourd’hui, nous arrivons au terme de cette période et il est très important pour nous de consolider nos liens avec les différents mouvements de libération dans le monde. En 2017, nous avons renoué avec nos frères basques avec qui nous avions déjà des contacts, mais aussi avec ceux de Catalogne et d’autres encore. Tout cela contribue à la sensibilisation de la communauté internationale à notre projet politique. C’est la raison de notre présence au Pays Basque : sensibiliser et faire la promotion du référendum du 4 novembre 2018.

Le référendum approche. Quel message voulez-vous faire passer durant ces dernières semaines ?

M.F : Il s’agit tout d’abord de rappeler que durant l’année 2017, nous avons mené une grande consultation auprès des différents acteurs du territoire afin de faire connaitre notre projet. Nous avons ainsi parcouru le pays Kanak, avec ses 341 tribus et ses 34 villages, afin de sensibiliser et convaincre la population de participer, mais aussi de rassurer les indécis sur la viabilité de notre projet politique d’indépendance.

Par ailleurs, nous avons aussi partagé notre projet au niveau régional avec les pays voisins comme la Papouasie-Nouvelle-Guinée, Fidji et les îles Salomon, mais aussi avec les Nations-Unies qui nous fournissent le cadre de la décolonisation. Dans le Pacifique, nous avons d'importants enjeux, notamment des enjeux climatiques, et il est très important pour nous d’être maîtres de notre destin politique afin de faire face à ces défis. En fin de compte, le message principal est que le pays Kanak, après 30 ans d’entente politique avec la France, est aujourd’hui prêt à s’assumer pleinement dans le concert des nations.

Durant ces rencontres que vous avez évoquées, quels sont les soucis et les espoirs que vous ont transmis les acteurs sociaux et politiques du pays kanak ?

M.F : Le peuple kanak, depuis 30 ans, s’est habitué au développement des services publics comme l’éducation, mais aussi l’emploi ou les retraites. Ce sont des acquis auxquels tient la population. L’indépendance doit aussi être une façon de sécuriser ces différents acquis sociaux.

Est-ce que vous craignez que les partisans du "rester avec la France" fassent jouer le message de la peur de la perte des conditions économiques, des minimas sociaux, des retraites, ou de l’éducation ?

M.F : La droite locale n’a pas de projet politique, si ce n’est le principe du "rester avec la France". Or la France, vous le savez comme moi, a beaucoup de problèmes actuellement. L’Europe doit faire face entre autres à des enjeux sociaux, au terrorisme, à la crise des migrants. De notre côté, nous sommes le quatrième producteur mondial de nickel, avec des réserves pour 150 à 200 ans, et nous voulons gérer nous-mêmes cette ressource.

Si le "oui" remportait le référendum ce 4 novembre, quel serait le calendrier à suivre ?

M.F : En cas de victoire du "oui", nous proposons la mise en place d’une période transitoire sous l’égide des Nations Unies avec une durée de deux à quatre ans. Pendant cette période, nous souhaitons négocier le transfert des compétences régaliennes, et ainsi organiser l’installation du nouvel Etat. Pour cela, nous avons les différentes dispositions juridiques qui nous sont offertes par les Nations-Unies. Nous échangeons par ailleurs beaucoup avec le Timor oriental, un des derniers pays décolonisés, qui nous appuie sur comment organiser un Etat : la monnaie, l’armée, l’ordre public, etc.

Et si le "non" l’emporte, quelle serait la stratégie du FLNKS ? 

M.F : En cas de "non", l’accord de Nouméa prévoit deux référendums. Pour le premier, il faut avoir les trois cinquièmes des congrès du territoire, mais il suffit d’un tiers des membres du congrès pour pouvoir déclencher le second référendum. L’ensemble des militants nationalistes est en train de travailler pour faire en sorte que la victoire soit au rendez-vous.

Comment les nouvelles générations voient la cause indépendantiste ? Est-ce qu’il y a des différences avec les générations plus anciennes ?

M.F : Il y a une proximité mais dans la différence. La proximité est la continuité de la cause indépendantiste. La différence est dans le cadre politique. Dans les années 80 et 90, nous étions dans un cadre de lutte dure sur le terrain. A partir de 1990, avec les accords de Matignon, nous sommes entrés dans les institutions françaises où nous avons pu avoir une partie du pouvoir politique à travers les élections. La jeunesse a toujours vécu dans ce cadre plus pacifiste.

J’imagine que ce référendum doit faire l’objet de toute votre vigilance. Comment suivez-vous son organisation ?

M.F : Nous avons eu une réunion jeudi dernier avec l’Etat qui n’est toujours pas dans la capacité de nous dire combien de Kanaks sont sur les listes électorales. Dès 2005, nous avons réalisé beaucoup d’actions contre la fraude. Depuis 2014, nous avons eu l’opportunité d’avoir trois missions d’observation électorale des Nations Unies. Leurs rapports pointent du doigt la possible rupture du principe d’égalité entre les électeurs, des décisions différentes pour des cas similaires, ou encore des droits de recours inopérants. Nous souhaitons utiliser cette liste comme levier au lendemain du référendum pour pouvoir rebondir sur ce sujet qui est très important pour nous.

Sous la pression internationale, nous avons obtenu un accord politique, au mois de mars, afin de pouvoir inscrire automatiquement sur les listes électorales l’ensemble des Kanaks, sans exception. C’est une importante avancée. Le 4 novembre prochain, nous pourrons bien entendu compter sur des observateurs internationaux des Nations Unies.