Francisco Sanchez Rodriguez

N’oubliez pas les prisons !

Photo d'archive de la maison d'arrêt de Mazas par A.H Collard. © Wikimédia
Photo d'archive de la maison d'arrêt de Mazas par A.H Collard. © Wikimédia

Les droits de l’homme n’ont pas très bonne pub dans nos établissements pénitentiaires. Nous en sommes malheureusement toujours au même point. D’ailleurs il suffit de s’attarder quelques minutes sur les rapports du Comité Prévention Torture (CPT) du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL), les alertes de l’Observatoire Internationale des Prisons (OIP) ou certaines décisions de justice, pour constater le délaissement des droits dans les prisons françaises. En plus du poids de la peine que les détenus doivent exécuter, certains y subissent des traitements inhumains et dégradants, comme supporter l’urine des rats qui coulent des plafonds du pénitentiaire de Fresnes, vivre dans un espace inférieur à trois mètres carré au pénitentiaire de Faa’a Nuutania en Polynésie française, ou manquer de soins médicaux à la maison d’arrêt de Nîmes.

Bref les exemples pourraient être nombreux, mais à qui la faute ? Aux différents Gardes des sceaux qui se sont succédés ces dernières années et qui, une fois à la Chancellerie, confondent Justice et politique pénale ? À la direction de l’Administration pénitentiaire ou aux directions interrégionales ? Qui sait ? En tout cas, la société a sa part de responsabilité lorsqu’elle ferme les yeux sur les prisons, et considère que les détenus sont moins humains que l’humain, ce qui justifierait que nous les traitions comme des invisibles, c’est à dire des personnes sans dignité. Ce raisonnement était audible à une époque pas si lointaine que cela, et qui voyait dans l’asservissement une forme d’éducation du prisonnier. La Justice d’aujourd’hui interdit en toutes circonstances ces pratiques dégradantes.

En effet, qu’avons-nous à gagner collectivement de laisser les détenus de la maison d’arrêt de Fresnes au milieu des puces, des punaises de lit, des cafards et des rats (Cf. CPT /Inf (2017) 7, §43) ? Des odeurs nauséabondes résultant du sous dimensionnement de la station d’épuration au centre pénitentiaire de Nuutania à Faa’a (CourEDH, R.I. c. France, Req. n° 32236/16, § 12) ? De la présence de 1 000 détenus pour une capacité de 500 places environ au centre pénitentiaire de Ducos (CourEDH, J.M.B. c. France, Req. n° 9671/15, § 13) ? À mon sens, rien de bon. La prison est une “humiliation pour la République” (éditorial du Monde du 08.08.2018) parce qu’elle est un lieu où le suicide est monnaie courante, un endroit sans intimité où les personnes peuvent vivre jusqu’à trois ou quatre dans neuf mètres carré et ce 22 h / 24, ou l’entrée du soin a primé sur la sortie des malades (OIP, Dedans Dehors n° 99, mars 2018). C’est aussi une zone où les manquements aux règles d’hygiène provoquent chez les détenus des sentiments d’infériorité propres à les humilier ou les rabaisser (CourEDH, Canali c. France, req. n° 40119/09, § 53). Ces indicateurs factuels sont révélateurs d’une administration essoufflée qui peine à respecter l’imprescriptible humain à cause d’une surpopulation carcérale inédite.

Mais est-ce en construisant de nouvelles places de prison que nous pourrons fournir à nos prisonniers des conditions de plus grande sécurité et de plus grande dignité ? Au demeurant, ce ne sont pas des coups de peinture et des programmes immobiliers qui feront baisser la surpopulation carcérale. Déjà parce qu’il faut entre cinq et dix ans pour construire une maison d’arrêt, et qu’une fois achevée, elle ne répondra déjà plus à la situation donnée. Par contre, la solution réside dans la création d’une Justice structurée sur la peine d’abord, sur la réinsertion ensuite.

La société a tout à gagner d’une Justice où la prison permet aux prisonniers de solder leur passé pour envisager un retour en société. C’est l’objectif poursuivi par la peine en démocratie, qu’on le veuille ou non. Certains douteront, car chacun a ses propres représentations. Quoiqu’il en soit, le retour en société s’applique à tous les détenus y compris les condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité, et nous devons militer pour leur accompagnement pendant, et après l’incarcération. Pour ce faire, ces détenus devraient être trans-férés dans un établissement pénitentiaire de réinsertion dans lequel les associations spécialisées dans les droits de l’homme seraient associées au travail d’accompagnement des condamnés aux côtés du corps médical. Ensuite, il incomberait au juge de décider de l’opportunité d’une libération conditionnelle sur la base d’une expertise psychiatrique et sociale qui aura été menée tout au long de l’incarcération. Ce dispositif devrait s’appliquer aussi aux détenus dont la peine est moins longue, en axant le travail d’accompagnement sur le retour en société, mais hors établissement pénitentiaire.

En revanche, le ministre de la Justice et l’administration pénitentiaire ne peuvent pas œuvrer à la réinsertion et au retour en société des détenus, dans des prisons surpeuplées où règne l’insécurité. Compte tenu du nombre anormal de personnes, la politique carcérale se concentre sur la surveillance des établissements au détriment de l’accompagnement des détenus. Par conséquent, il faudrait associer les associations, les éducateurs spécialisés ainsi que les accompagnants sociaux pour mettre en place un plan d’accompagnement des personnes dont la peine va se terminer, puisque c’est un public en instance de libération que l’État doit prendre en charge d’abord, s’il souhaite prévenir les risques de récidive et les nouveaux placements en détention ensuite. Pour y parvenir, il faut apprendre à connaître les détenus pour trouver des solutions adaptées à chaque situation, et qui les encourageront à ne pas récidiver. On me dira “encore faut-il avoir du temps pour connaitre concrètement les prisonniers…” Cela vaudrait quand même le coup d’essayer.