Anaiz Aguirre Olhagaray

“Le logement est le premier vecteur d’accès à l’autonomie d’un jeune”

Jimmy Losfeld est président de la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE). Pour sa réunion de rentrée, le premier syndicat étudiant français a choisi de se réunir à Bunus, à la veille des entretiens d'Inxauseta, axés cette année autour de la question : “Faut-il encore aider le logement en France ?”

Jimmy Losfeld était intervenu aux entretiens d'Inxauseta en 2017, sur le thème "Les oubliés du logement". © Bob EDME
Jimmy Losfeld était intervenu aux entretiens d'Inxauseta en 2017, sur le thème "Les oubliés du logement". © Bob EDME

Pourquoi avoir organisé votre réunion de rentrée ici, à Bunus ?

Jimmy Losfeld : Ça fait quelques années maintenant que je suis un habitué des rencontres d’Intxauseta. Cette année, on vient avec une délégation un peu plus nombreuse. L’événement organisé ce vendredi était l’occasion pour notre organisation de se réunir dans un cadre plus atypique que ceux de nos bureaux parisiens, pour poser notre réflexion sur nos différents sujets d’actualité, de société, et essayer de sortir un petit peu du quotidien qui est le nôtre. En tant que syndicat étudiant et organisation de jeunesse, on a énormément de préoccupations récurrentes, liées à la question du chômage des jeunes, à la question du coût de la vie qui augmente, à la question de la précarité… Il me semble important pour notre mouvement d’avoir quelques moments un peu hors du temps. A Bunus, le cadre est idéal pour avoir une réflexion un peu plus haute, un peu plus à long-terme de l’avenir de notre société, de la place de la jeunesse, et de la jeunesse organisée.

Demain, le thème des entretiens est "Faut-il encore aider le logement en France ?". Quelle est aujourd'hui la situation du logement pour les étudiants et les jeunes ?

J.L : C’est toujours difficile. Nous venons de sortir la semaine dernière notre indicateur du coût de la rentrée 2018 (1). Si globalement le coût de la vie pour les étudiants va diminuer cette année, grâce à la loi "Orientation et réussite des étudiants", notamment sur les postes liés à la santé, sur le logement, cela augmente. Ça augmente à cause de l’inflation des loyers, en particulier des petites surfaces, qui sont les logements privilégiés par les jeunes et les étudiants. Donc c’est un poste de dépense toujours extrêmement important. Il faut comprendre que plus de la moitié, parfois même plus de 60 % du budget mensuel d’un étudiant est consacré au logement. C’est très important, parce que le logement est le premier vecteur d’accès à l’autonomie d’un jeune. C’est un vecteur de réussite, parce qu’on peut réviser chez soi, on a un cadre de travail, mais c’est aussi un vecteur indispensable d’accès à l’emploi, parce qu’aujourd’hui, sans logement, c’est très compliqué d’accéder à l’emploi. Il y a énormément de freins d’accès au logement, en particulier à cause du loyer, et aussi à cause du manque de logements. On a énormément de villes en France dont le marché locatif est extrêmement tendu, à Paris, à Nice, à Lille…

Sur la côte basque, aussi.

J.L : Oui ici aussi, j’imagine.

 

Quels engagements le gouvernement a-t-il pris ?

J.L : François Hollande avait annoncé le plan 40 000 logements. Emmanuel Macron a pris l’engagement, devant les étudiants, de construire 60 000 logements étudiants sur le quinquennat. C’est le plan le plus important qui ait jamais été annoncé. Mais 60 000 logements, ce n’est pas assez. On est aujourd’hui 2,6 millions d’étudiants en France. D’après l’augmentation démographique prévue, on sera 3 millions d’étudiants en 2025. Le CROUS ne gère que 160 000 logements. On comprend bien que le service public n’est pas en capacité de gérer l’intégralité du parc locatif pour les étudiants. Donc il est essentiel de réfléchir à des solutions pour la crise du logement, notamment chez les étudiants, qui s’appuie à la fois sur le public, le privé, et les bailleurs sociaux. C’est la raison pour laquelle venir ici à la rencontre de tous les acteurs du logement, lors des rencontres d’Inxauseta, c’est important pour nous, pour voir dans quelle dynamique on peut s’inscrire pour faire en sorte d’aider les étudiants à trouver des logements plus facilement qu'aujourd’hui.

Construire de nouveaux logements, est-ce la solution ? Y a-t-il d’autres alternatives, par exemple la colocation ?

J.L : Tout à fait. Le nerf de la guerre reste l’augmentation du nombre de logements, mais effectivement, il va falloir étudier d’autres solutions alternatives. La colocation se développe de plus en plus. Un peu plus de 10 % d’étudiants vivent en colocation aujourd’hui, qu’elle soit choisie ou forcée, parce qu’on n’a pas toujours envie d’être en colocation. Mais parfois, c’est indispensable parce que ça coûte moins cher. Par ailleurs, la FAGE a obtenu une belle victoire l’année dernière, avec la généralisation du dispositif Visale (2), porté par Action Logement, dont les étudiants peuvent maintenant être bénéficiaires et qui, pour le sujet de la colocation, est important parce qu’il est cumulatif, en fonction du nombre de jeunes qui veulent s’inscrire dans une colocation. On voit aussi émerger de plus en plus de projets alternatifs, d’intermédiation locative, de logements intergénérationnels… Il faut généraliser les initiatives qui permettent, à moindre coût, d’accéder à un logement durable, et encore une fois de garantir l'accès à l’autonomie pour la jeunesse.

Comment percevez-vous la réforme de l’aide au logement qui sera menée au printemps prochain ?

J.L : Avec beaucoup d’inquiétude. Parce que dans les grandes lignes qui sont fixées, on sent la volonté du gouvernement de faire des économies. D’un côté, c’est louable, compte tenu de la situation économique de notre pays. Sauf qu’on a quand même l’impression qu’à chaque fois, ce sont les mêmes qui trinquent, et en l’occurrence, cela concerne la question de l’aide au logement (APL). Les APL, c’est toujours le totem auquel s’attaquent les gouvernements successifs pour essayer de faire des économies. Si sur le court-terme on se contente uniquement de diminuer les APL, je ne suis pas convaincu que ça va baisser la tension sur le marché locatif. Par contre, ça va pénaliser une partie de la jeunesse qui a déjà du mal à accéder au logement. Je suis inquiet… surtout qu'on sent un manque de dialogue entre les organisations étudiantes et le ministère de la Cohésion des territoires sur ce sujet-là. En plus, la réforme prévoit de passer le calcul des APL de l’année N-2 à l’année N, ce qui pourra faire économiser à l’État plus d’un milliard d’euros. Ça va se faire sur le dos de ceux qui ont des parcours fractionnés, qui vont changer de situation, en l’occurrence des étudiants qui vont trouver un emploi. Le fait d’avoir un calcul à N-2 garantissait un levier pour permettre en début d’emploi d’avoir une aide financière pour s’installer dans une vie stable. Je crains que cette situation ne précarise un peu plus des publics déjà fragiles. Les politiques ne voient pas à long-terme, et c’est cela qui nous inquiète.

(1) https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/08/27/les-syndicats-etudiants-se-divisent-sur-le-cout-de-la-rentree_5346630_3224.html

(2) https://www.visale.fr