Béatrice MOLLE-HARAN

A nos sœurs et frères emprisonnés

Et nous savons qu’il ne peut y avoir d’oubli et que toutes les victimes de ce conflit qui a duré 50 années doivent avoir leur place dans cette histoire.

Béatrice MOLLE-HARAN. © Sylvain SENCRISTO
Béatrice MOLLE-HARAN. © Sylvain SENCRISTO

Un être cher à mon cœur aujourd’hui disparu, basque et abertzale, se levait chaque matin et me disait que ses premières pensées allaient toujours vers les prisonniers basques. Rien bien sûr qui l’empêcha de vivre et de vaquer à ses occupations, mais un caillou dans sa chaussure, la fin définitive de la lutte armée avait été proclamée en 2011, à son grand soulagement, politique et moral dans son cas, et à celui de la société basque. Et rien n’avançait pour ces jeunes gens et jeunes filles qui décidèrent un jour de prendre les armes pour leur pays.

Et la question aujourd’hui n’est pas de savoir si ce choix fut erroné, si telle période de l’activité d’ETA, notamment sous le fascisme espagnol se justifiait, la question aujourd’hui est de savoir si ces prisonniers qui ont accompli pour la plupart de longues peines de prison, certains sont grands-pères, ont leur place dans notre société qui, après la dissolution d’ETA, avance vers le difficile chemin escarpé de la paix. La réponse pour nous est sans ambiguïté : oui, nous les voulons dehors, vivants, faits de leur passé et de leur histoire, malgré les différences, les désaccords passés. Je dirai même que ceux et celles qui s’étaient mobilisés contre la lutte armée l’estimant contre-productive connaissent le prix du sang, des relations tronquées, conflictuelles et donc savent le prix inestimable de la paix.

Curieusement, certains boutefeux semblent aujourd’hui découvrir la problématique basque et insultent sur les réseaux sociaux les artisans de la paix, les élus favorables au processus de paix, ceux et celles cherchant des solutions qui seraient donc des blanchisseurs de ce qui fût. En responsabilité, nous répondons à ces donneurs de leçons de la dernière heure que nous ne les avons pas attendus pour analyser, décortiquer et réfléchir à ce que devra être l’avenir de notre pays, en paix, auquel nous tenons. Et nous savons qu’il ne peut y avoir d’oubli et que toutes les victimes de ce conflit armé qui a duré 50 années doivent avoir leur place dans cette histoire.

Nous ne savons que trop ce que 40 années de dictature balayées par une transition démocratique, mais effaçant sans mémoire toutes les horreurs commises par le franquisme, débutant par un coup d’Etat militaire en 1936, engendra comme frustrations souterraines. Et nous faisons nôtres les paroles de Michel Rocard lues par son fils lors de son enterrement durant la cérémonie funéraire au Temple de l’Etoile. Un extrait d’un texte écrit deux ans avant sa mort : “Toute mon adolescence, j’ai rêvé que ma trace soit porteuse de paix. Je ne pense pas avoir manqué à ce vœu. Certains le savent encore en Algérie, tous en Nouvelle-Calédonie, je fus un combattant de la paix. N’était la violence des hommes, la nature étant si belle, la vie aurait toutes ses chances d’être merveilleuse si nous savions y créer l’harmonie. Ce fut l’effort de mon parcours.”

Alors oui, en responsabilité, nous serons à Bayonne le 16 juin, pour ne pas ajouter de la haine et de la vengeance, à l’orée d’un chemin qui semble s’éclaircir. Pour nos frères et nos sœurs emprisonnés. Au nom de la solidarité et de la paix.