Chloé Rébillard

A la mairie de Bayonne, le mal-être des employés couve

La direction de la mairie de Bayonne et le maire, Jean-René Etchegaray, ont décidé d’augmenter le volume horaire des employés sans augmenter leur rémunération. Une mesure qui ne passe pas dans un contexte où le mal-être au travail, lui, augmente.

Les employés de la mairie de Bayonne refusent de travailler plus sans gagner plus. © Wikipedia commons
Les employés de la mairie de Bayonne refusent de travailler plus sans gagner plus. © Wikipedia commons

Fabienne Darrambide, responsable de la CGT à la mairie de Bayonne, a la voix teintée de colère. Elle s’en excuse : "Je suis passionnée, excusez-moi, mais tout ça me paraît tellement évident..." "Tout ça", c’est le trop plein qui submerge les employés de la mairie de Bayonne. Ils sont en lutte, à l’appel d’une intersyndicale réunissant FO et la CGT, contre la direction de la mairie et le premier édile de la ville qui souhaite augmenter de 50 le nombre d’heures annuelles travaillées. Pour le directeur des service de la ville de Bayonne, Marc Wittenberg, c'est une erreur de calcul de la part des syndicats : "en réalité, il s'agit de 30 heures".

Pour comprendre, il faut rembobiner : l'histoire remonte au passage aux 35 heures de travail hebdomadaire en 2000. A l’époque, toutes les entreprises et les collectivités sont invitées à négocier en interne les modalités de passage avec leurs salariés. A la mairie de Bayonne, employeur et employés tombent d’accord sur 1 557 heures travaillées annuellement.

Une circulaire gouvernementale est venue bouleverser les horaires établis : elle préconise aux collectivités un volume horaire général. Le gouvernement de l'époque a sorti la calculette et déduit que 35 heures par semaine équivalent à 1 607 heures par an. Depuis, certaines collectivités souhaitent s’aligner sur le calcul gouvernemental, à l’image de la ville de Bayonne qui l’a annoncé à ses employés début 2018. "Il ne s’agit pas d’une obligation mais bien d’une préconisation" souligne Fabienne Darrambide.

50 heures ou 30 heures ?

En 2004, un décret définit le mode de calcul du temps de travail. Or il ne correspond pas exactement à celui qui a été appliqué à la mairie de Bayonne. Ils avaient compté 9 jours feriés par an, le décret impose d'en compter 8. Et surtout les jours de fractionnement, ces deux jours de congés supplémentaires pour les agents qui prennent des congés entre novembre et mars, ne sont plus décomptés du temps de travail. Selon le directeur des services, l'accord signé en 2000 reviendrait donc à 1 577 heures. Mais pour Robert Massé, le délégué du personnel de FO, syndicat majoritaire, le calcul est tronqué : "dans l'accord qu'ils nous ont présenté, les jours de fractionnement ont disparu. Ils disent que les agents pourront les prendre quand même, mais pour cela, il va falloir qu'ils apparaissent quelque part !"

Un employé proche du syndicat LAB (le syndicat n’a pas de section à la mairie de Bayonne) y voit un ensemble de pressions de plus en plus fortes exercées sur les collectivités par l’État, afin qu’elles se restreignent et n’augmentent pas leur budget de fonctionnement : "on assiste à une mise sous tutelle des collectivités territoriales. Comme un mouvement de recentralisation".

Le directeur des services, lui, déclare : "dans un contexte de baisse de dotations de l'Etat avec en parallèle une augmentation de la demande de services de la part des Bayonnais et des Bayonnaises, nous devons prendre des mesures comme amplifier les horaires d'ouverture par exemple". Et il ajoute : "les dernières déclarations du secrétaire d'Etat en charge de ces questions laissent à penser qu'il est possible qu'un texte législatif soit adopté afin de rendre les 1 607 heures obligatoires. Nous avons fait le choix de nous donner du temps pour effectuer ce glissement, plutôt que de le faire brutalement lorsqu'une réglementation législative y obligera".

Fabienne Darrambide voit surtout que la mairie revient sur l’accord signé par toutes les parties : "on était tombé d’accord. Et le maire s'était engagé par écrit aux élections municipales de 2014 : il avait écrit noir sur blanc qu’il ne reviendrait pas sur cet accord. Ce n’est qu’un calcul électoral de sa part qui n’améliorera nullement la qualité des services rendus, au contraire".

Une porte ouverte pour les autres communes

S’ils reviennent sur l’accord, pour Fabienne Darrambide, cela sera "une porte ouverte pour l’ensemble des autres communes de l’EPCI". L’alignement sur les préconisations du gouvernement se fait selon la volonté de chaque collectivité, mais la syndicaliste craint que l'exemple de Bayonne ne donne des idées à d'autres communes. 

L’analyse est partagée par LAB : "on sait qu’à la CAPB, ils travaillent actuellement sur l’harmonisation des conditions de travail des anciennes communautés d’agglomération. Ils pourraient s’inspirer de l’exemple de Bayonne. Et d’autres communes pourraient suivre le mouvement". A l'heure actuelle, les communes de Boucau et Tarnos ont fait le choix de préserver l'accord de 2000, en-deça des 1 607 heures. Mais plusieurs communes de la côte basque travaillent, elles, selon cette préconisation : Anglet, Biarritz, Saint-Jean-de-Luz.

Si les employés n’entendent pas céder face aux pressions de la mairie, c’est également parce que le contexte dans lequel a été faite l’annonce ne serait pas propice au bien-être des travailleurs. Fabienne Darrambide pointe la perte de sens qui guette dans un service public de plus en plus managé comme une entreprise privée, mais aussi le gel des salaires depuis 2010. "Si le maire recule sur cette proposition, nous voulons bien négocier sur une réorganisation des services. Nous avons des propositions qui permettraient de mieux organiser le travail et de lui redonner du sens" déclare Fabienne Darrambide.

Pour le moment, la mairie voudrait compenser "le travailler plus sans gagner plus" qu’elle souhaite imposer à ses agents par quelques avantages sociaux : des chèques-déjeuners supplémentaires, et la part que prend en charge la mairie à propos de la mutuelle plus importante qu’actuellement. Cela fait s’étrangler Fabienne Darrambide : "ce sont des actions sociales qui sont discutées en comité technique et n’ont rien à faire dans une négociation sur le temps de travail ! Ce n’est ni plus ni moins que du chantage que tente la mairie !"

Une première action avait réuni 70 % des employés le 6 mai sous le balcon du bâtiment municipal. Les réunions avec les services techniques, les élus et les représentants du personnel se poursuivent. Robert Massé détaille : "nous avons rendez-vous dans quelques jours pour une réunion explicative. Puis nous devons faire un retour aux employés". Le syndicaliste se veut le "garant de la paix sociale", mais n'exclut pas de recourir à des actions s'ils ne sont pas entendus : "nous refusons de servir de variable d'ajustement d'un budget qu'ils n'arrivent pas à boucler à cause de choix politiques". Et de souligner le ras-le-bol des employés municipaux. Sa collègue syndicaliste prévient : "nous sommes prêts à faire grève pour la fête de la musique et les fêtes de Bayonne. On ne lâchera pas".

Et les 32 heures ?

Quant à LAB, qui milite pour que les décisions soient prises au plus près du territoire, il entend aller plus loin encore dans leurs propositions aux collectivités. Vingt ans après le passage aux 35 heures, le syndicat croit toujours que le sens de l’histoire va dans la réduction du temps de travail pour partager l’emploi et les richesses entre tous. Il entend bien profiter des élections professionnelles au sein des collectivités, prévues pour fin 2018, pour débattre d’une nouvelle mesure de réduction du temps de travail : le passage aux 32 heures. "Les collectivités ont un droit à l’expérimentation. Dans ce cadre, elles pourraient instituer un meilleur partage du temps de travail avec une réorganisation des services. Le constat actuel est que cela ne fonctionne pas bien, des cadres finissent en burn-out. Pourquoi ne pas essayer de passer aux 32 heures et de tout remettre à plat ?" s’interroge-t-il.