MEDIABASK

Une décoration gênante

Condamné pour des faits de torture en 1997, Manuel Angel Sanchez Corbi a reçu la plus haute distinction de l’Etat français 18 ans plus tard.

Le colonel Sánchez Corbí, au Congrès de Madrid.
Le colonel Sánchez Corbí, au Congrès de Madrid.

L’Etat français a remis la Légion d’Honneur, sa plus haute distinction à une personne condamnée pour avoir torturé un militant basque, Kepa Urra, avant d’être relaxé en 1999.

Le garde civil espagnol Manuel Angel Sanchez Corbi, tout comme José Maria de las Cuevas Carretero et Antonio Garcia Lozano, avait été condamné par la cour de la province de Bizkaia en 1997 à une peine de quatre ans de prison et six ans d’inhabilitation pour avoir maltraité un citoyen basque pendant sa détention à Basauri, le 29 janvier 1992. Un an après, le Tribunal suprême espagnol avait réduit la peine à 12 mois tout en maintenant sa suspension. Une sanction jamais appliquée puisqu’en 1999, la ministre de la Justice de l’époque du gouvernement de Jose-Maria Aznar, avait prononcé la relaxe des trois agents.

Et M. A. Sanchez Corbi a continué à gravir les échelons militaires. Une évolution justifiée par ses résultats dans la "lutte antiterroriste". La reconnaissance de son travail ne vient pas uniquement de Madrid.

Le 16 septembre 2015, il a été décoré de la Légion d’Honneur, la plus haute distinction française, en même temps qu’un autre garde civil, Pablo Martin Alonso, rapportait le quotidien Gara en 2017. Une décoration venue récompenser leur action contre ETA, attribuée par le directeur général de la sécurité intérieure Patrick Calvar, lors d’une cérémonie à Madrid.

L'hommage de la juge Le Vert

Seulement trois gardes civils ont eu droit à cette distinction. Le fait que M.A. Sanchez Corbi l’ait reçue s’explique par les relations étroites qu’il a entretenues avec les autorités françaises pendant toutes ces années. L’hommage appuyé de l’ancienne juge Laurence Le Vert lors d’une cérémonie à Madrid, en novembre 2016, en est l’illustration.

Lors de cette cérémonie, l’ancienne magistrate du parquet antiterroriste de Paris avait été décorée par le ministre de l’Intérieur et la Fondation des victimes du terrorisme pour son travail contre ETA. Dans son allocution, elle avait nommé à plusieurs reprises M.A. Sanchez Corbi, affirmant qu’il était le garde civil qui lui avait montré "ce qu’était" l’organisation armée basque.

Pour comprendre quel est le poids de M. A. Sanchez Corbi au sein de la garde civile, il suffit de se référer à ce que disent ses confrères. Une note datée de novembre 2012 du Syndicat unifié de la Police (SUP) le considère comme le "successeur du général (Enrique) Rodriguez Galindo dans la défense de l’esprit militaire de la garde civile, dans la considération de ce Corps comme l’essence de la Patrie au-dessus de toutes les institutions". La comparaison avec le général condamné pour l’enlèvement et la mort de Joxi Zabala et Joxean Lasa est à comprendre dans le contexte de tension entre les différents corps policiers. En revanche, M. A. Sanchez Corbi, lui, ne cache pas son admiration pour la caserne d’Intxaurrondo, dans laquelle a longtemps été en poste le général.

Le journaliste de Gara a essayé de contacter M.A. Sanchez Corbi, tant par le biais du ministère de l’Intérieur que de la garde civile, afin de lui demander des explications sur le fait qu’un des plus hauts responsables de l’institution armée a été condamné pour torture puis relaxé. Sans succès.

Une vie liée à la garde civile

Fils et petit-fils de garde civil, Manuel Angel Sanchez Corbi a grandi dans la caserne d’Irun. Il a débuté sa carrière à l’Académie générale militaire de Saragosse, et a obtenu le grade de colonel chef en 1987. Il a alors intégré la brigade d’information de Bizkaia. En 1992, il a participé à l’arrestation de Kepa Urra, puis l’a roué de coups et trainé en montagne pour lui soutirer des informations, d’après les informations reccueillies dans les différentes décisions judiciaires. Pourtant, pendant 25 ans il s’est maintenu à la tête de l’institution armée, dans la "lutte antiterroriste" qu’il n’a pas quittée jusqu'en 2013, deux ans après l’arrêt des activités armées d’ETA.